Origine et histoire de l'Abbatiale
L'abbatiale Notre-Dame de Mouzon est l'ancienne église de l'abbaye de Mouzon, dans les Ardennes. Son essor médiéval tient aux reliques de saint Victor et de saint Arnoul, qui attirent pèlerins et ressources et motivent, aux XIIe et XIIIe siècles, la construction d'un édifice inspiré des premières réalisations gothiques tout en annonçant, par certains choix techniques, une génération suivante. De taille plus modeste que les grandes cathédrales, l'abbatiale offre au visiteur la perception d'ensemble de l'édifice et des jeux de lumière qui mettent en valeur l'architecture et le mobilier. La présence, près du chœur, d'un reclusoir témoigne de la diversité des formes de vie religieuse au Moyen Âge. Au début du XVIIIe siècle sont installés un orgue par Christophe Moucherel et un maître-autel de style baroque ; pendant la Révolution la commune transforme l'abbatiale en église paroissiale, ce qui contribue à sa sauvegarde. Fragilisée par le manque d'entretien, elle est classée parmi les monuments historiques dès la liste de 1840 puis fait l'objet d'une vaste campagne de restauration conduite de 1855 à 1890 par l'architecte Émile Boeswillwald à la demande de Prosper Mérimée ; ces travaux permettent de sauver le bâtiment mais modifient profondément la façade occidentale.
Dès le VIIe siècle, Mouzon compte plusieurs églises ; une Notre-Dame est fondée au IXe siècle au sein d'un établissement monastique féminin où sont découvertes les reliques de saint Victor. Après les destructions causées par des invasions, notamment vikings, les moniales quittent les lieux et, au début du Xe siècle, l'archevêque Herivée restaure les murs, installe un collège de chanoines et y place les reliques de saint Victor. En 971, Adalbéron remplace le chapitre par une communauté bénédictine venue de Thin-le-Moutier et les reliques de saint Arnoul s'ajoutent alors à celles de saint Victor. L'afflux de pèlerins et le souhait d'un chœur plus ample conduisent, au tournant des années 1190, à la reconstruction du chœur et de la partie orientale selon des modèles parisiens et laonnois du gothique primitif ; un projet d'érection de Mouzon en siège épiscopal est envisagé puis abandonné. Après un incendie en 1212 qui épargne surtout la partie neuve, la reconstruction des parties anciennes se poursuit jusqu'au milieu du XIIIe siècle dans les proportions du chœur ; les tours de façade sont élevées jusqu'au XVIe siècle et des fenêtres de style flamboyant modifient l'éclairage du chœur. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les évolutions portent principalement sur l'aménagement intérieur et le mobilier, dont l'orgue et le maître-autel baroque consacré en 1728. La Révolution met les biens de l'abbaye à la disposition de la Nation, mais la municipalité réserve le cloître pour les vieillards et obtient que l'abbatiale reste affectée au culte paroissial ; le culte est interrompu en 1793, l'édifice devient temple de la Raison, puis le culte constitutionnel est autorisé en 1795 et la situation se stabilise après le concordat de 1801. La foudre endommage l'église en 1807 et l'abbatiale, fragilisée, fait l'objet de la restauration du XIXe siècle. En 1940 des obus détruisent verrières et vitraux ; ceux-ci sont ensuite remplacés par du verre blanc ou par des verrières sobres à motifs géométriques simples.
La nef, flanquée de deux collatéraux, présente une élévation en trois étages typique du gothique primitif : grandes arcades en arcs brisés au niveau inférieur, tribunes au premier étage et triforium suivi d'un étage de grandes fenêtres. L'ensemble est voûté sur croisées d'ogives, avec des voûtes sexpartites dans la nef et quadripartites dans le chœur. À l'extérieur, des arcs-boutants prévus dès l'origine contrebutent les voûtes autour du chœur et le long de la nef, témoignant d'éléments annonciateurs de la deuxième génération gothique ; ces arcs-boutants, relativement lourds et adossés à des contreforts épais, coexistent avec des murs-boutants et ont été réaménagés côté sud au XVe siècle par l'adjonction de pinacles. Le chœur est entouré d'un déambulatoire à cinq pans et de cinq chapelles rayonnantes.
Le portail occidental, encadré de deux tours carrées, comporte un tympan du XIIIe siècle en trois registres sculptés séparés par des bandes ondulées ; le registre inférieur montre la dormition de la Vierge à gauche et les martyrs Victor et Arnoul à droite, le registre médian présente trois scènes mariales traditionnelles (Visitation, couronnement, Annonciation) et le registre supérieur, fortement abîmé, représente des anges agenouillés et une scène d'élévation pouvant évoquer la glorification d'un martyr. Le tympan, initialement protégé par plusieurs voussures, ne conserve qu'un rang réinstallé avec douze figurines d'anges ; une Vierge à l'Enfant occupe le trumeau et les statues des pieds-droits ont disparu.
L'abbatiale mesure 65 m de longueur ; la nef centrale est large de 9 m, les collatéraux de 4,20 m et 4 m, l'élévation de la nef atteint 21 m, le transept fait 9,80 m d'ouest en est pour 26,05 m de longueur, le chœur et l'abside ont 14,50 m de profondeur, les chapelles rayonnantes 4 m sauf celle de l'axe à 5 m, le déambulatoire mesure 3,60 m et les tours de façade culminent à 56,50 m flèche comprise. Ces dimensions se rapprochent de celles de la cathédrale de Senlis mais restent nettement inférieures à celles des grandes cathédrales septentrionales comme Laon, Reims ou Noyon.
L'abbatiale réunit des solutions héritées d'édifices tels que Laon, Noyon ou Notre-Dame de Paris — élévation sur quatre niveaux, tribunes, arcs trilobés du triforium et piliers monocylindriques — et des innovations comme des arcs-boutants conçus dès l'origine, qui annoncent l'évolution vers des façonnements plus verticaux et la disparition progressive des tribunes au XIIIe siècle. Les restaurations du XIXe siècle, réalisées en pierre de Bulson plus jaune que la pierre originelle de Yoncq, ont reconstruit la façade occidentale en remplaçant la grande verrière flamboyante du XVe siècle par quatre fenêtres surmontées d'une rosace, reconstruit les hauts murs et arcs-boutants des côtés nord et sud, refait des colonnes, supprimé une chapelle flamboyante du XVe siècle dans le bas-côté nord et ajouté une tribune au fond pour le grand orgue, laissant apparaître à l'œil les différences de teinte entre parties anciennes et parties restaurées.
Le reclusoir, dans une chapelle du déambulatoire nord près du maître-autel, est une cellule voûtée de 2,1 m sur 1,1 m et de 2,1 m de haut, pourvue d'une porte destinée à être maçonnée et d'une petite ouverture permettant d'apercevoir l'autel ; au moins deux recluses y sont attestées, dont Mathilde, dame de Villemontry, en 1197.
Le mobilier comprend une chaire en bois sculpté du XVIIe siècle attribuée à André Lefèvre, des stalles en chêne des XVIIe-XVIIIe siècles, un maître-autel baroque monumental consacré en 1728 orné de médaillons et de colonnes de marbre, un crucifix placé dans l'axe de la tribune, ainsi que divers autels, retables, lavabos, tableaux et statues dont une Madeleine en bois mutilée de style XVIIIe siècle ; plusieurs pierres tombales de religieux et d'officiers claustraux subsistent dans le pavement et contre les murs, mais peu de sépultures d'abbés sont présentes.
L'orgue de Christophe Moucherel, construit entre 1723 et 1725 avec un décor de Jacques Lemaire, a été déplacé lors des travaux du XIXe siècle sur une tribune en pierre ; il a subi une refonte en 1879, le pillage de ses tuyaux métalliques en 1917, des remplacements en 1923-24 par Pol Renault, des travaux dans les années 1972-73 par Jean Gomrée et une restauration achevée en 1991 par Barthélemy Formentelli.