Origine et histoire de l'Abbatiale Saint-Savin-Saint-Cyprien
L'abbaye de Saint‑Savin‑sur‑Gartempe, située dans la Vienne, est une abbaye romane célèbre pour l'ensemble complet et bien conservé de ses peintures murales, qui lui ont valu une inscription au patrimoine mondial de l'UNESCO. Fondée au début du IXe siècle sur le lieu où furent retrouvées les sépultures des martyrs Savin et Cyprien, elle a vu l'actuelle église abbatiale édifiée au cours de la seconde moitié du XIe siècle. La charte de fondation ayant disparu, les sources et la tradition évoquent l'intervention de figures comme Badillus et l'application de la règle de saint Benoît par Benoît d'Aniane, qui installa une vingtaine de moines et désigna Eudes Ier comme premier abbé. La période de prospérité qui suivit permit, grâce à des dons importants, la construction et la décoration de l'abbatiale sous la direction des abbés Odon et Gervais, et le dépôt, lors de la redécouverte des reliques, d'un exceptionnel reliquaire en verre bleu retrouvé en 1866. L'abbaye conserva une grande influence jusqu'à ce que la guerre de Cent Ans, puis les guerres de religion, entraînent destructions, pillages et spoliations, notamment des stalles, des orgues et des archives. L'installation d'abbés laïcs, le démantèlement partiel des bâtiments pour la vente des pierres et l'occupation de l'abbatiale par un abbé laïc marquèrent un long déclin jusqu'au rétablissement de la vie monastique en 1640 avec l'arrivée de la congrégation de Saint‑Maur. À partir de 1682 les moines mauristes entreprirent la reconstruction des bâtiments conventuels et la restauration de l'église, avec la réalisation du grand logis abbatial et des aménagements conformes aux usages bénédictins. Après la Révolution l'église devint paroissiale et les bâtiments conventuels connurent des usages profanes, tandis que la flèche fut partiellement détruite par la foudre au XIXe siècle, provoquant des dégâts à la voûte de la nef. À partir des années 1830 la prise de conscience de la valeur du site par Ludovic Vitet et Prosper Mérimée déclencha des campagnes de protection et de restauration qui se poursuivirent au XIXe et au XXe siècle, notamment la restitution de la flèche par l'architecte Formigé en 1877 et des travaux de 1967 à 1974. L'abbatiale fut inscrite au patrimoine mondial par l'UNESCO en 1983 et l'ensemble de l'abbaye fit l'objet d'importants chantiers de restauration entre 2005 et 2008, complétés par la création d'un établissement public de coopération culturelle chargé de sa gestion. Sur le plan architectural, l'église incarne la maturité du style roman et associe étroitement architecture, peinture et sculpture ; son plan en croix latine, son clocher‑porche et sa nef monumentale témoignent de plusieurs campagnes de construction menées au XIe siècle. L'édifice, long de 76 mètres, se signale par une flèche élevée et une ample nef divisée en trois vaisseaux et composée de neuf travées, tandis que le transept et le chevet à déambulatoire organisent l'espace liturgique et les chapelles rayonnantes. Le clocher‑porche carré, décoré d'arcatures et couronné aux siècles suivants, est surmonté d'une haute flèche dont l'appareil et la silhouette ont été retouchés à diverses époques. La nef, véritable pièce maîtresse, mesure 42 mètres de long sur 17 mètres de large et 18 mètres de hauteur ; son berceau peint, d'une superficie importante, repose sur de hautes colonnes décorées et sur des piles qui traduisent les différences de campagnes constructives. Ces différences, visibles dans l'alternance de supports et de voûtements, ont favorisé la création d'une vaste surface continue idéale pour le cycle peint qui recouvre la voûte et les parois de l'abbatiale. Les peintures murales, réalisées selon des techniques intermédiaires entre la fresque et la détrempe, datent principalement des XIIe et XIIIe siècles pour la nef et couvrent un programme iconographique cohérent centré sur l'Ancien Testament, en particulier la Genèse et l'Exode, lu comme un grand livre en registres parallèles. Le tympan et le porche présentent des scènes de l'Apocalypse et du Jugement avec un Christ en gloire entouré d'anges et d'apôtres, tandis que la voûte déroule des épisodes tels que la Création, le Déluge, la Tour de Babel, les récits d'Abraham et l'histoire de Joseph et de Moïse. La crypte, lieu ancien de conservation des reliques de Savin et Cyprien, est elle‑aussi peinte et narre la vie et le martyre des deux saints sur plusieurs registres ; ces peintures, bien conservées, témoignent d'une stylisation romane et d'un goût pour la narration en frise continue. Sculptures et chapiteaux, notamment ceux des premières travées et du chœur, complètent l'ensemble décoratif par des rinceaux, feuillages et scènes historiées dans la tradition poitevine. Les bâtiments conventuels, reconstruits à partir de 1682 selon un plan traditionnel bénédictin par François Le Duc, regroupent réfectoire, salle capitulaire, cuisine et cellules ; l'escalier monumental à colonnes toscanes et certaines pièces conservent des vestiges médiévaux et des éléments décoratifs retrouvés lors de fouilles. Le cloître prévu au XVIIe siècle n'a pas été édifié par manque de moyens et les bâtiments conventuels sont protégés au titre des monuments historiques depuis les années 1970. L'abbaye reste aujourd'hui un monument majeur du roman poitevin, reconnu pour la qualité exceptionnelle de son décor peint, souvent qualifié de « chapelle Sixtine du Moyen Âge français ».