Origine et histoire de l'Abbatiale Sainte-Marie
L'abbatiale Sainte-Marie de Cruas est une église romane fondée en 804 par des moines bénédictins envoyés par l'abbaye d'Aniane sur l'ordre du comte Eribert de Vivarais, et édifiée sur les vestiges d'une villa gallo-romaine puis d'un édifice paléochrétien. Située à Cruas, en Ardèche, elle a été consacrée en 1095 par le pape Urbain II et agrandie au XIIe siècle. L'abbaye a connu des inondations et des destructions liées à la guerre de Cent Ans puis aux guerres de Religion, qui entraînèrent l'abandon des bâtiments conventuels et le repli des moines vers les hauteurs fortifiées du village. Réoccupée de 1628 à 1741, elle vit sa mense conventuelle supprimée par une ordonnance épiscopale en 1741 ; en 1768 il ne restait que deux moines et, au moment de la Révolution, la communauté était déjà éteinte. L'édifice est classé au titre des monuments historiques depuis 1862.
De style romano-lombard, l'abbatiale présente toutefois un clocher-porche occidental influencé par les courants artistiques du Velay et du Viennois. Elle conserve une tribune monastique rare et remarquablement préservée, édifiée au milieu du XIIe siècle. Au-dessus de la croisée du transept s'élève une tour ronde à lanterne, et l'abside du chœur est renommée pour une mosaïque de style byzantin exécutée dans le premier quart du XIIe siècle. Le portail comporte trois voussures reposant sur des colonnettes à chapiteaux ; au‑dessus, une fenêtre encadrée d'une archivolte à lobes, en partie murée au XVe siècle, est pourvue d'un oculus de style flamboyant. Le clocher, de plan carré, est un édifice roman à trois étages en retraits. Dans la crypte, des colonnes monolithes aux chapiteaux sculptés d'animaux témoignent des premiers développements de la sculpture romane.
Le sanctuaire, aménagé au niveau de la tribune monastique, conserve plusieurs éléments liturgiques : un siège de présidence, une croix du Christ placée au sud de l'axe central contre les nervures des piliers de l'abside, un ambon du dernier quart du XXe siècle, un autel en marbre gris daté du XIe siècle retrouvé lors de fouilles et soutenu par de petites colonnes modernes transparentes incorporant des vestiges de colonnes d'origine, et un tabernacle disposé au nord de l'axe central contre les mêmes nervures.
Une fouille de l'Inrap réalisée en novembre 2020 sur 180 m2 et jusqu'à 4 m de profondeur a mis en évidence des niveaux d'occupation correspondant aux inondations du Crûle dans les caves de l'abbaye. Au XIXe siècle, de nombreux éléments du monastère en ruines furent réemployés dans la construction des maisons alentours.
La liste des abbés reflète une longue histoire monastique : parmi les abbés réguliers figurent Uliébaud (855), Rostang (881), archevêque d'Arles, Manassès (914-961), également archevêque d'Arles, Abraham (970) et Ithier d'Arles, qui a consacré l'église en 970 ; au XVe siècle apparaît Jean de Tournon, intervenu en 1495 pour protéger des populations locales. Plusieurs abbés commendataires se succèdent par la suite, dont Scipion de La Rolière, Gaspard de Tournon (1517-1520), Jean Le Merle de Rébé (1525-1542) — pour qui fut construite une chapelle funéraire gothique adossée à l'absidiole sud, démontée puis reconstruite en 2003 pour servir de sacristie — ainsi que Hugues‑Humbert de Servien (1680), Daniel de Cosnac (1628-1708), Jean‑Bernard de Coriolis (1681-1752) et Paul de Boyer d'Éguilles (1709-1785). Vers 1360, l'abbaye acquit les terres de Lachamp et des Tourrettes, dont les abbés resteront seigneurs jusqu'à la Révolution.
