Origine et histoire de l'Abbaye aux Dames
L'abbaye aux Dames de Caen, ou abbaye de la Sainte-Trinité, est un ancien monastère bénédictin fondé au XIe siècle à Caen (Calvados). Elle fait partie, avec l'abbaye aux Hommes, des deux grandes abbayes fondées par Guillaume le Bâtard vers 1060. L'église abbatiale de la Trinité abrite depuis 1083 le tombeau de Mathilde de Flandre. L'ensemble, aujourd'hui siège du conseil régional de Normandie, est classé aux monuments historiques.
La fondation, motivée à la fois par un geste d'expiation lié au mariage interdit de Guillaume et Mathilde et par des considérations politiques, remonte aux environs de 1059-1060. Le mariage, célébré en 1050 ou 1051 et sanctionné selon les chroniqueurs par une excommunication du pape Léon IX, aboutit après le pardon du pape Nicolas II à la création des deux abbayes. Au-delà de cette motivation religieuse, Guillaume chercha par ces fondations à renforcer son autorité en Basse-Normandie, en densifiant le réseau monastique et en consolidant Caen comme point d'appui proche des zones de rébellion. Les deux abbayes, seules des dix-huit établissements élevés sous Guillaume à avoir été fondées directement par le duc, furent choisies en lien probable avec le plan des fortifications pour jouer un rôle d'appoint au château. En se faisant inhumer à Caen — Mathilde à l'abbaye aux Dames en 1083 et Guillaume à l'abbaye aux Hommes en 1087 — les ducs inscrivirent durablement leur attachement à la ville et aux monastères. Son fils Guillaume le Roux déposa par la suite les insignes royaux des fondateurs au trésor des deux abbayes.
Les travaux de l'église débutèrent en 1062 et s'achevèrent en 1130 ; la dédicace eut lieu le 18 juin 1066 alors que l'abbatiale était encore en travaux. On commença par le chevet au XIe siècle et l'édifice fut renforcé par de petits arcs-boutants extérieurs. Mathilde est inhumée dans le chœur, sa dalle funéraire en marbre noir portant une longue inscription latine qui rappelle son origine, ses bienfaits et la date de son décès. Au Moyen Âge, l'abbaye subit des profanations : en 1562 les reliques exposées dans la crypte furent pillées par des protestants et disparurent pendant la Révolution.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, des réformes spirituelles sous l'abbesse Laurence de Budos et d'importants travaux architecturaux confiés au moine-architecte Guillaume de La Tremblaye modifièrent les bâtiments conventuels ; ces travaux, commencés en 1702, furent interrompus en 1737 puis repris en 1767 avec le soutien du roi. À la veille de la Révolution la communauté jouissait d'une bonne situation financière, mais la voûte du cloître n'a jamais été achevée et la Révolution arrêta les chantiers. En 1791 les bénédictines furent chassées ; l'abbaye devint ensuite l'Hôtel-Dieu puis l'hospice Saint‑Louis, occupés à partir de 1823 par des religieuses augustines jusqu'en 1983. La nef fut profondément restaurée en 1865 et la façade ainsi que les tours furent entièrement reconstruites au XIXe siècle. Lors du débarquement et de la bataille de Caen en juin 1944, l'abbaye et l'église furent relativement épargnées malgré les graves destructions subies par la ville, et une dernière restauration intérieure eut lieu entre 1990 et 1993. De 1986 à 2015 l'abbaye hébergea le conseil régional de Basse‑Normandie, puis, à partir de 2016, celui du conseil régional de Normandie après la fusion des régions.
L'église présente une nef bordée d'arcades en plein cintre surmontées d'une tribune et couverte par la première voûte d'ogives construite en Normandie, datée de 1130. Le transept central accueille l'autel : le transept nord, roman, ouvre sur une absidiole abritant le tabernacle, tandis que le transept sud réunit des colonnes gothiques intégrées à une décoration largement romane. L'abside du chœur est ornée de quatre colonnes et d'une galerie décorée d'animaux fantastiques, et la crypte, partiellement enterrée en raison de la pente du terrain, repose sur de nombreuses colonnes. Le seul chapiteau historié de la crypte est généralement interprété comme une représentation du Jugement dernier, montrant d'un côté saint Michel accueillant les élus et de l'autre un homme muni d'un fléau.
Au XIXe siècle, le portail fut modifié par l'installation d'un tympan sculpté représentant la Trinité, œuvre d'Adolphe‑Victor Geoffroy‑Dechaume achevée vers 1862 et discutée pour sa représentation triandrique. Au titre des monuments historiques, l'église Sainte-Trinité figure sur la liste de 1840 et l'ancienne abbaye est classée par arrêté du 24 juin 1976. L'abbaye possédait des dépendances et revenus, notamment des droits à Saint‑Vaast‑la‑Hougue, et dépendait du faubourg de Bourg‑l'Abbesse autour de Caen. En 2020, l'abbaye a servi de lieu de tournage pour plusieurs séquences de l'émission Secrets d'Histoire consacrée à Guillaume le Conquérant.