Origine et histoire de l'Abbaye de Bellevaux
L'abbaye Notre‑Dame de Bellevaux est une abbaye cistercienne située à Cirey, en Haute‑Saône, fondée en 1119. Elle a été créée par Pons Ier de La Roche et Étienne de Traves comme première fille de l'abbaye de Morimond et première abbaye cistercienne de Franche‑Comté. Son domaine foncier s'est constitué avec l'appui des seigneurs de Cirey et de Chambornay, et l'église, dédiée à Notre‑Dame, a été consacrée en 1143. Fidèle au mouvement d'expansion de Morimond, Bellevaux participa à la fondation de Lucelle (1124), de Montheron (vers 1130), de Rosières (1132), de la Charité (1133) et, à la suite des liens des seigneurs de La Roche avec l'Attique, de l'abbaye de Daphni en Grèce. À la fin du XIIe siècle l'abbaye reçut les reliques de Pierre II de Tarentaise, ce qui transforma Bellevaux en important lieu de pèlerinage ; plusieurs seigneurs locaux et trois archevêques de Besançon furent inhumés dans l'abbatiale. Après la Révolution, les reliques furent transférées dans l'église de Cirey.
Aux XIVe et XVe siècles l'abbaye afferma ses granges, investit dans les salines de Lons‑le‑Saunier et de Salins‑les‑Bains et acquit une maison à Besançon, mais ses effectifs déclinèrent, passant à une vingtaine de moines au milieu du XIVe siècle puis à six en 1497. La commende s'imposa progressivement, Jean Rolin devenant abbé commendataire en 1455, système qui se consolida à partir de 1551 sous Pierre d'Andelot. La guerre de Dix Ans porta un coup sévère au monastère : en 1650 le prieur se trouvait seul et sans les objets liturgiques nécessaires. Le XVIIIe siècle vit une nette amélioration des revenus et des conditions de vie, ainsi que la construction d'édifices somptueux sous le dernier abbé commendataire, Louis‑Albert de Lezay‑Marnésia.
Vendu comme bien national en 1791, puis successivement acquis par Thomas de Vesoul et le général Pichegru, Bellevaux fut racheté en 1817 par Eugène Huvelin et deux convers qui y réinstallèrent une communauté de vingt‑cinq moines sous l'observance de Sept‑Fons ; des reliques y furent replacées dans une chapelle aménagée en prolongement des bâtiments. Après 1830 la communauté, confrontée à l'hostilité locale, se retira et le domaine repassa en mains privées en 1837. La famille de Ganay transforma Bellevaux en résidence estivale pendant trois générations ; l'abbaye changea ensuite plusieurs usages jusqu'à redevenir propriété privée en 1994. Le monument a été inscrit aux Monuments historiques par arrêté du 27 décembre 1946 et son site classé par arrêté du 20 juin 1951.
L'abbaye occupe un fond de vallon ouvert sur la vallée de l'Ognon, sur un terrain rectangulaire d'environ huit hectares entouré d'un mur d'enceinte, à proximité des villages de Cirey et de Chambornay ; l'orientation des bâtiments suit la topographie, le chœur étant tourné vers le sud‑ouest. Des vestiges médiévaux subsistent dans les bâtiments actuels, mais l'église abbatiale romane, consacrée en 1143, est mal documentée : des sources du XVIIIe siècle évoquent trois nefs voûtées et trois autels, tandis que des visites antérieures mentionnent au moins six chapelles latérales; l'édifice, long d'au moins 60 mètres, a probablement été raccourci au XVIIe siècle. Quelques éléments de sculpture et des ogives attestent que l'église n'était pas d'une simplicité totale au regard des canons cisterciens.
Sur la façade sud‑est du bâtiment conventuel subsistent un pilastre avec un chapiteau à décor végétal (inséré au XIXe siècle), une console à ogives et trois portes ouvrant sur le transept et le chœur, dont une porte de sacristie à jambage médiéval. Un sondage archéologique de 1986 a mis au jour une partie du sol post‑médiéval de l'église et a montré que le cloître avait un plan carré intérieur de 43,5 mètres de côté; en 2012 un jambage de porte avec seuil a été repéré 1,4 m sous le niveau actuel. Au plus tard au XVIe siècle l'aile des frères convers, au nord‑ouest, fut transformée en logis abbatial, auquel l'abbé César de Marnais de La Bastie ajouta un pavillon ; des projets ultérieurs n'ont pas toujours été réalisés.
Des travaux d'entretien importants sont documentés aux XVIIIe siècle sous la direction des architectes Claude Pierrot et Joseph Cuchot : réparations et transformations entre les années 1740 et 1788 ont notamment relevé le niveau des rez‑de‑chaussée, reconstruit le clocher, réparé des ogives, édifié des écuries et greniers (1762), un porche (1764) et reconstruit en grande partie le bâtiment conventuel entre 1786 et 1788 tout en renouvelant le réseau hydraulique. Les inventaires révolutionnaires décrivent par la suite un mauvais état et la démolition progressive de l'église et de ses matériaux commença probablement après la vente de 1791 ; la famille de Ganay fit raser ultérieurement les derniers vestiges autour du cloître.
Le bâtiment conventuel, appelé « château » sous la famille de Ganay, présente une façade principale asymétrique et conserve des éléments intérieurs remarquables malgré d'importantes pertes entre 1957 et 1993 : au rez‑de‑chaussée s'alignent réfectoire, grand salon orné de boiseries signées « Sieur Faivre », vestibule et salons, tandis qu'un bel escalier en pierre de Chailluz conduit à une galerie à l'étage desservant les chambres. Un petit bâtiment au nord abritait le lavoir, la boulangerie et la cave à vin, et la porte d'entrée de 1764 ouvre sur l'allée bordée de platanes menant aux écuries et greniers. Le réseau hydraulique, alimenté par une source captée au nord‑est du lavoir et considéré jusqu'au XIXe siècle pour ses vertus, est conservé dans son état du XVIIIe siècle.
Fille de Morimond, Bellevaux fut la mère de Lucelle (1124) et de Montheron (1130) ainsi que des maisons françaises de Rosières (1132) et de la Charité (1133), et participa à la fondation de l'abbaye de Daphni près d'Athènes en 1211. Dès 1139 quatre granges dépendaient de l'abbaye, huit en 1178, parmi lesquelles Cirey, Magny, Trevey, Argirey, Valleroy (avec Baslières), Champoux et Braillans, ces dernières ayant contribué au défrichement des communes voisines. La liste des abbés commence avec Pons de La Roche (1119‑1156) et comporte de nombreux noms médiévaux et modernes, parmi lesquels Burchardus, Jean Rolin (abbé commendataire dès 1455) et, pour la période moderne, Louis‑Albert de Lezay‑Marnésia (1731‑1790).