Origine et histoire de l'Abbaye de Cercanceaux
L’abbaye de Cercanceaux, située sur la commune de Souppes-sur-Loing en Seine-et-Marne, est une ancienne abbaye cistercienne fondée en 1181 par les moines de l’abbaye de la Cour-Dieu, grâce au concours d’Hugues, abbé de la Cour-Dieu, et d’Henri Iᵉʳ Clément, maréchal de France, qui leur donna des terres. Construite en calcaire blanc, la même pierre employée au XIXᵉ siècle pour le Sacré-Cœur de Montmartre, l’abbaye bénéficia rapidement de la faveur royale de Philippe Auguste et fut qualifiée d’« abbaye royale ». Les membres de la famille Clément du Mez y furent inhumés; le fondateur Henri Clément, mort loin de là en 1214, fut enterré à Turpenay.
Au Moyen Âge, les moines défrichèrent et aménagèrent la vallée du Loing; Eudes, premier abbé venu de la Cour-Dieu, se distingua comme organisateur. Philippe Auguste l’envoya en ambassade à Rome en 1185 et confirma le temporel de l’abbaye en 1190; en 1201 le chapitre général des cisterciens autorisa un départ pour la quatrième croisade. On conserve des sceaux d’abbés datés de 1220 et 1246. Après 1260, les fondateurs continuèrent d’effectuer des donations, de même qu’un frère de saint Louis.
Le XIIᵉ et le XIIIᵉ siècles furent aussi marqués par des épisodes troublés : en 1323 un scandale de sorcellerie impliquant un abbé aboutit à l’exécution d’un sorcier et d’un chat noir et à l’emprisonnement à perpétuité de l’abbé. En 1357 les bandes anglaises de Robert Knolles ravagèrent le Gâtinais et peut-être l’abbaye, et, comme beaucoup de monastères, Cercanceaux sortit ruiné de la guerre de Cent Ans. Un abbé prit part aux événements militaires de la fin de la guerre : il rejoignit La Hire et Xaintrailles, contribua à la délivrance de Montargis en 1427 et combattit auprès de Jeanne d’Arc en 1429, étant blessé lors du siège d’Orléans. Appauvrie, l’abbaye obtint en 1453 puis en 1462 des dispenses de contribution à l’ordre cistercien; en 1474 elle vendit un manuscrit à l’abbaye de Marcoussis, manuscrit aujourd’hui conservé au Vatican dans le fonds de la reine Christine. En 1494, l’abbé Jean participa à la réformation de l’ordre.
À l’époque moderne, la commende s’instaura en 1514 avec la nomination de Guillaume de Rolland comme premier abbé commendataire, régime qui perdura jusqu’à la Révolution : l’abbé, désormais extérieur à la vie monastique, était proposé par le roi au pape à la suite du Concordat de Bologne de 1516 et percevait les revenus, contribuant à l’appauvrissement du monastère. Les archives du Vatican conservent des dossiers relatifs à ces nominations. De 1538 à 1567, Antoine Héroët, humaniste et poète proche de Clément Marot et de Marguerite de Navarre, résida souvent à Cercanceaux, fit des réparations et devint évêque de Digne en 1551, tout en s’y rendant rarement. Les guerres de Religion entraînèrent des pillages : en 1567 le chevalier du Boulay pilla l’abbaye, et le 27 avril 1576 l’abbaye fut le lieu d’une rencontre entre Catherine de Médicis et les chefs protestants Condé et Turenne, avant la négociation principale tenue début mai au château de Châtenoy, dite paix de Châtenay; des reîtres commandés par Casimir pillèrent ensuite l’abbaye, et des combats eurent lieu en 1587 autour de Château-Landon.
La vie monastique reprit ensuite et le temporel fit l’objet d’actes précisant sa gestion. Dans la première moitié du XVIIᵉ siècle, l’abbé commendataire François Le Charron, fils d’un trésorier riche, fut député du bailliage de Nemours aux États généraux de 1614, aumônier d’Anne d’Autriche et ambassadeur à Rome. En 1647 Jean-Jacques Olier devient abbé mais la Fronde et la faiblesse financière de l’abbaye l’empêchèrent d’en tirer parti; il démissionna en 1649. Un procès-verbal de 1668 signale l’état alarmant des bâtiments et de l’église; en 1677 l’abbé Claude Vipart de Silly, chevalier de Malte, fut tué à la bataille de Cassel. Au XVIIIᵉ siècle, les archives conservent de nombreux documents de gestion; un inventaire détaillé accompagné de l’arrivée de Pierre Cluzel de La Chabrerie a lieu en 1738, et un dernier inventaire en 1790 précède la vente du monastère et de ses terres, les moines quittant alors la maison tandis que le dernier abbé, François Mouchet de Villedieu, émigra.
À la Révolution l’abbaye fut fermée et ses bâtiments vendus comme biens nationaux; l’église abbatiale fut détruite en 1792. Henry Théodore Dupont acheta l’ensemble et y installa en 1794 une papeterie destinée à produire du papier pour l’impression des assignats. L’activité papetière se maintint au fil des ventes : Auguste Étienne Dufay acquit le site en 1821, sa famille le céda ensuite à la famille Montagnan vers les années 1880. En 1926 l’activité papetière fut transférée dans une nouvelle usine à quelques centaines de mètres et l’abbaye fut inscrite à l’inventaire complémentaire des monuments historiques. Entre 1945 et 1977, les bâtiments servirent de lieu de stockage pour les industries du jouet et du verre.
À partir de 1995, l’abbaye a fait l’objet d’une restauration et a été reconvertie en lieu de réception et de tourisme; la chapelle de l’abbé est le seul bâtiment religieux subsistant.