Origine et histoire de l'Abbaye
L'abbaye de Château-Chalon, située à Château-Chalon (Jura), est un établissement monastique féminin qui a existé de l'époque carolingienne à la Révolution française. D'abord abbaye bénédictine, elle se transforme en un chapitre de chanoinesses nobles qui accueille les filles des grandes familles comtoises. Construite sur le rebord d'un plateau rocheux du Jura, elle joue simultanément un rôle religieux et seigneurial et possède un vaste domaine dont une grande part est consacrée à la vigne, lien durable avec le vignoble jurassien.
La date de fondation reste incertaine ; la première mention sûre de l'"abbatiola Carnonis-Castrum" se trouve dans un document de 869, donation de Lothaire II à l'archevêque de Besançon Arduic, et le nom réapparaît dans la Divisio regni de 870. Probablement datée des VIIIe‑IXe siècles, l'abbaye se développe sur l'arête du plateau et des fortifications intégrant deux tours sont élevées, dont la dite "tour Charlemagne" selon la tradition ; l'ensemble, tel qu'il apparaît sur une gravure du XVIIIe siècle, correspond plutôt à une architecture militaire du XIIIe siècle, comme en témoignent encore les ruines du donjon. Les sires d'Arlay deviennent protecteurs après une charte de l'empereur Frédéric Barberousse en 1165, et l'institution reçoit de nombreuses donations confirmant ses possessions dans l'Empire.
Au XIIIe siècle l'abbaye se sécularise et devient le Chapitre Notre-Dame de Château-Chalon, qui n'admet que des dames nobles justifiant de seize quartiers. Les grandes familles de Franche-Comté y placent souvent leurs filles cadettes. Tout en restant formellement régie par la règle bénédictine, la vie y est moins stricte : les chanoinesses, au nombre d'environ vingt avec postulantes et "écolières", reçoivent une éducation aristocratique, vivent dans des maisons individuelles avec domesticité, conservent des obligations rituelles adaptées et reçoivent chacune une part distincte des revenus communautaires, dite prébende.
Les abbesses, nommées par le comte de Bourgogne, portent fréquemment le titre de princesses du Saint‑Empire et exercent des droits seigneuriaux — justice, cens, corvées, mainmorte — sur plusieurs milliers d'hectares englobant des villages voisins comme Menétru‑le‑Vignoble, Nevy‑sur‑Seille, Blois‑sur‑Seille, Voiteur ou Ladoye‑sur‑Seille. L'abbaye tire aussi ses ressources de dîmes perçues dans le sud du Jura (Plaisia, Besain, Mérona, Molay, Petit‑Noir), de possessions dans le Revermont (Passenans, Macornay, Gevingey) et d'un puits à sel à Salins ; l'aménagement de moulins sur la haute Seille apporte également des revenus, au centre de nombreux litiges au fil des siècles. Pour assurer son fonctionnement, l'abbaye emploie domestiques, serviteurs divers, forestiers, un scribe, un bailli (grand juge), un juge châtelain, un procureur et des sergents.
Parmi les abbesses connues, Catherine de Rye (1613‑1645) fait de l'abbaye un lieu social recherché et Claudine de Fouchier (1652‑1660) entreprend la restauration de l'église et obtient le titre de grande abbesse. Au XVIIIe siècle la famille de Watteville fournit les dernières abbesses ; Anne‑Marie Desle de Watteville (1733‑1742) et Françoise‑Elisabeth de Watteville‑Conflans (1742‑1775) tentent de rétablir des finances fragilisées par les guerres et les épidémies qui ont dépeuplé la région et laissé des vignes en friches.
L'évolution des mentalités au XVIIIe siècle, conjuguée à un ressentiment démocratique et anticlérical, critique le mode de vie des chanoinesses qui se replient sur leur cercle social ; les fonctions charitables et publiques qui étaient fréquentes au XVIe siècle se font plus rares au siècle suivant. En 1790 l'assemblée révolutionnaire dissout l'abbaye, qui est vendue comme bien national et en grande partie démolie sans incident notable.
La dernière abbesse, Charlotte‑Anne‑Sophie‑Désirée de Stain, nièce de la précédente, est connue pour avoir possédé un rubis célèbre sous le nom de Watteville ; pendant la Révolution, elle refusa de remettre aux officiers municipaux certains vases sacrés. Ces objets liturgiques — ostensoirs, ciboires, croix, encensoirs en argent richement ornés — ont été pour partie conservés dans le trésor de l'église Saint‑Pierre, qui abrite aussi des statues sauvées lors des démolitions.
Il subsiste aujourd'hui quelques vestiges de l'abbaye : le porche d'entrée, l'emplacement de la maison de la dernière abbesse, la maison de l'intendant, des façades et un pigeonnier du bâtiment abbatial dit Froid Pignon. La tradition attribue aux abbesses l'introduction du cépage dit Tokay de Hongrie sur les coteaux de Château‑Chalon, origine légendaire du savagnin, cépage utilisé pour l'élaboration du vin jaune ; l'ampélographie moderne rattache toutefois le savagnin à la famille des traminers, mais l'abbaye a joué un rôle avéré dans le développement du vignoble et a contribué à faire de Château‑Chalon un haut lieu du patrimoine jurassien.
La liste connue des abbesses, telle que rapportée par les sources (Gallia Christiana, Vayssière, de Mesmay), s'étend de Berlaïde (~1020) à Charlotte‑Anne‑Sophie‑Désirée de Stain (1786‑1792) et comprend de nombreux noms dont Alduide, Adélaïde, Pétronille, Marguerite, Mahaut de Bourgogne, plusieurs membres des familles de Coligny et de Rye, ainsi que les Watteville.