Origine et histoire de l'Abbaye de Haute-Seille
L'abbaye de Haute-Seille, autrefois appelée Haute-Selve (du latin Alta Silva, « Haute Forêt ») et sans rapport avec la Seille lorraine, se situe en plaine sur la commune actuelle de Cirey-sur-Vezouze, non loin de la Vezouze, formant un écart au sortir de Cirey. Avant la fondation cistercienne, des moines bénédictins de l'abbaye de Saint-Sauveur en Vosges auraient occupé le site. L'établissement cistercien fut fondé en 1140 par une donation de la comtesse Agnès de Langenstein à l'ordre de Cîteaux ; une dizaine de religieux venus de l'abbaye de Theuley s'y installèrent, et la création fut probablement favorisée par les relations de saint Bernard avec Étienne de Bar, évêque de Metz. Le domaine, qui ne comprenait d'abord que le village de Tanconville, s'est accru par échanges et acquisitions, notamment par l'ajout du village de Hesse, près de Lorquin, dont le prieuré, consacré par le pape Léon IX, fut rattaché à Haute-Seille en 1504 ; l'abbaye percevait aussi des dîmes (notamment celles de Blémerey, Domjevin, Fréménil et Vého) et exerçait le patronage et la cure dans de nombreuses paroisses, parmi lesquelles Parux, Bertrambois, Hattigny, Lafrimbolle, Landange, Aspach, Niderhoff, Fraquelfing, Neufmoulins, Languimberg et Fribourg. Dès 1147, l'évêque de Metz intervint pour obtenir la résignation des droits que prétendaient exercer les familles de Salm et de Turquestein ; plus tard, en 1184, Henri de Salm tenta de reprendre le contrôle d'un canal de dérivation de la Vezouze situé dans l'enclos de l'abbaye, mais se heurta aux évêques de Metz et de Toul. Pour se protéger, les moines sollicitèrent l'appui des seigneurs de Blâmont, puis, en 1267, celui des ducs de Lorraine, et l'abbaye dut, au fil des siècles, défendre son indépendance face aux comtes de Salm, aux ducs de Lorraine et aux rois de France. L'église de l'abbaye fut consacrée en 1176 par Pierre de Brixey, évêque de Toul.
Haute-Seille souffrit des guerres qui ravagèrent la région : en 1391, un combat livré près de Cirey par Henry III, sire de Blâmont, dévasta les environs, et les conflits entre Charles-Quint et la France l'ont également dévastée. La paix de 1559 apporta un répit, bientôt troublé par les guerres de religion ; en 1648 la situation financière était si précaire que l'abbé Dom Louis Fériet dut mettre sa crosse en gage pour 800 francs et vendre les cloches à un marchand de Strasbourg, puis emprunter à la chartreuse de Molsheim pour réparer l'église de Hesse. À la nomination de Dom Jacques Moreau de Mautour comme abbé, la communauté ne comptait plus que le prieur et cinq religieux ; grâce à la paix rétablie par le duc Léopold et à sa politique, l'abbaye se releva : on rétablit les cloîtres et les stalles en 1707-1708 et, en 1711, des marchés furent passés pour les sculptures du sanctuaire.
En mars 1748, Stanislas nomma Nicolas-Joseph Alliot abbé commendataire de Haute-Seille ; les religieux demandèrent aussitôt à élire un abbé régulier et obtinrent le soutien du prince de Salm auprès du pape. Dom F. d'Estrepy, élu régulièrement, dut se réfugier au-delà du Rhin ; un procès devant la cour de Rome aboutit le 14 janvier 1754 à une transaction confirmée par l'abbé général de Cîteaux : moyennant une rente, l'abbé commendataire devait résider hors de l'abbaye et la direction effective revenait au prieur. Sous la conduite du prieur Dom de Marien, les travaux reprisèrent dans la mesure des ressources et la communauté connut une paix relative jusqu'en 1789. Le 1er août 1789, les bâtiments furent saccagés par des habitants des environs ; le dernier prieur, Antoine Combette, se retira à Strasbourg où il mourut en 1830, et les ventes des biens commencèrent dès avril 1791, la maison de Blâmont étant cédée en priorité et l'abbaye vendue le 22 décembre 1791.
Architecturalement, l'abbaye avait été presque entièrement reconstruite au XVIIIe siècle et ses bâtiments étaient neufs lors de son démantèlement, mais il subsiste peu de traces du quartier abbatial qui était accolé au nord de l'église, avec des murs d'environ 1,10 m d'épaisseur. Le cloître mesurait 47 mètres parallèlement au transept et 26 mètres en façade ; les logements des religieux étaient au-dessus et le cloître communiquait avec l'église par une petite porte en plein cintre encore visible. L'église, datée de la seconde moitié du XIIe siècle, présentait un plan en croix latine orientée : la nef mesurait 45 mètres sur 15, le transept 4,80 mètres sur 11, et l'abside était formée de trois pans coupés de 4 mètres chacun. Le portail roman, toujours debout, comporte cinq grandes arcades de même hauteur mais de styles différents ; l'arcade centrale, qui servait d'entrée, était flanquée de huit colonnettes dont les chapiteaux subsistent partiellement, et le portail était dit-être surmonté d'un pignon avec une rose ou un oculus. Les bâtiments encore en élévation avaient été convertis à un usage agricole et entouraient une cour de 123 sur 83 mètres, percée d'une porte monumentale du XVIIe siècle ; l'enclos était traversé par un canal et un moulin occupait l'emplacement actuel du polissoir. Les vestiges de l'abbaye de Haute-Seille sont inscrits au titre des monuments historiques par arrêté du 19 janvier 1927.
Haute-Seille est fille de l'abbaye de Theuley ; en 1579, Nicolas Périni, prieur de Hesse — devenu prieuré séculier depuis 1550 — demanda et obtint la réunion à Haute-Seille, prit l'habit à Haute-Seille et fut élu abbé après la mort de son frère Jean ; cette union fut confirmée en 1605. Au cours de son existence, l'abbaye posséda des biens dans de nombreuses localités, notamment Adelhouse, Albestroff, Azerailles, Azoudange, Badonviller, Bertrambois, Blanche-Église, Courtegain, Dorlisheim, Emberménil, Foulcrey, Guéblange, Hablutz, Hampont, Haut-Clocher, Hellocourt, Herbéviller, Igney, Lafrimbolle, Leintrey, Marsal, Nossoncourt, Rambervillers, Réchicourt-le-Château, Richeval, Rosières-aux-Salines, Saint-Nicolas, Sarrebourg, Thann, Varangéville et Xures. Au moment de la Révolution, elle conservait à Haute-Seille une métairie, un moulin, une tuilerie, des étangs et des bois avec droits de pêche sur la Vezouze et de chasse ; à Tanconville des terres, bois, étangs, un moulin, la seigneurie foncière, le patronage de la cure et des dîmes ; à Hesse une métairie, un moulin, des bois, la seigneurie foncière, le patronage de la cure et les dîmes ; à Lezey une métairie, un étang et les deux tiers de la seigneurie foncière ; à la Neuve-Grange une métairie avec bois, scierie et moulin ; à Ormange, Xirxange et Récour des métairies accompagnées de moulins, d'étangs et de bois, ainsi que plusieurs métairies appelées la Vigne, le Griffon, Rotomoncel et Saint-Benoît. L'abbaye percevait encore tout ou partie des dîmes de nombreuses paroisses (Parux, Bertrambois, Hattigny, Lafrimbolle, Landange, Aspach, Niderhoff, Fraquelfing, Neufmoulins, Languimberg, Fribourg, Ommeray, Rosheim, Rosenwiller, Blâmont, Blémerey, Domjevin, Fréménil, Vého, Nitting, Hermelange, Maizières-lès-Vic, Gelucourt, Kraftel, Videlange) et détenait des biens sur les finages de Cirey, du Val-le-Bon-Moutier, Harbouey, Frémonville, Sainte-Pôle, Vacqueville, Merviller, Thiaville, Remoncourt, Xousse, Jambrot, Maizières-lès-Vic et Lorquin.
La succession des abbés réguliers commence par Gérard ; parmi les derniers abbés réguliers figurent Dom Jacques Moreau de Mautour (1692-1729) et Dom Henry Lecler (élu en 1730), puis vinrent des abbés commendataires, tels que Nicolas-Joseph Alliot (nommé en 1748), François Alliot (1754), ainsi que des abbés de Montauban et de Cambis en 1790. Enfin, Jean de Haute-Selve, moine de l'abbaye à la fin du XIIe siècle, est l'auteur du Dolopathos, sive de rege et septem sapientibus, qui inspira ensuite le trouvère Herbert.