Origine et histoire de l'Abbaye
L'abbaye de Lucelle, dont le nom se traduit par « ermitage des bois » ou « monastère de lumière », est une ancienne abbaye cistercienne située à la frontière actuelle entre le Haut‑Rhin (France) et le canton du Jura (Suisse). Fondée au début du XIIe siècle (1123–1124) grâce aux dons de la famille de Montfaucon, elle reçut une colonie de douze moines envoyée par l'abbaye de Bellevaux sous la direction d'Étienne, premier abbé, et fut consacrée en 1124. Rapidement prospère, Lucelle connut un essor important au XIIe siècle et compta jusqu'à deux cents moines à la fin de ce siècle ; son abbé obtint par la suite le titre de vicaire général de l'ordre de Cîteaux en Germanie et l'abbaye administra de vastes domaines, des droits de dîme dans de nombreuses localités, des granges, des moulins, ateliers et forges. Lucelle donna naissance à plusieurs filles au cours du XIIe siècle — notamment Neubourg, Frienisberg, Kaisheim, Lieu‑Croissant, Salem, Pairis et Saint‑Urbain — et exerça la tutelle sur divers couvents et prieurés de la région.
L'abbatiale romane, consacrée en 1124, fut endommagée par des séismes au début du XIVe siècle et partiellement reconstruite en style gothique, avec un chevet à pans coupés ; cette seconde consécration eut lieu en 1346. L'église, réservée aux moines, mesurait environ 62 m de longueur sur 20 m de largeur et comptait 18 autels en 1525. Le portail occidental, remanié vers 1679 et sculpté en 1721, fut réutilisé dans l'église de Raedersdorf ; de l'ensemble des bâtiments conventuels reconstruits après l'incendie de 1699, dirigé par les abbés Antoine de Reynold puis Nicolas Delfis entre 1709 et 1720, on ne connaît plus que des vues anciennes.
Au fil des siècles, l'abbaye subit plusieurs destructions et pillages : elle fut incendiée après la bataille de Dornach en 1499, touchée par les troubles de 1524–1525 et dégradée pendant la guerre de Trente Ans, puis gravement endommagée par le grand incendie de 1699 avant d'être restaurée et enrichie d'un mobilier baroque. Confirmée et protégée par plusieurs souverains (dont Henri V, Rodolphe Ier, Charles IV et Louis XIV), Lucelle resta un établissement prestigieux et une destination pour les cadets de la noblesse régionale.
Au cours de la Révolution, l'abbaye fut fermée et vendue comme bien national dans les années 1790 ; une grande partie des bâtiments conventuels et l'église furent démolis au début du XIXe siècle et le mobilier dispersé. Les bâtiments conservés accueillirent ensuite des activités industrielles : une forge et une fonderie fonctionnèrent sur le site jusque dans les années 1880, et un bâtiment de fonderie subsistant fut transformé en chapelle en 1970. Des fouilles menées en 1961 ont dégagé des portions des fondations de l'église et des vestiges de voûtes et de piles ; en 1962 un bâtiment situé entre la porte de Porrentruy et l'église fut détruit.
Plusieurs constructions notables subsistent partiellement, notamment l'ancienne hôtellerie dite « grosse Kellerei », édifiée en 1593 et remaniée au début du XVIIIe siècle, ainsi qu'une aile datée du troisième quart du XVIIIe siècle. Du pavillon d'agrément (orangerie) construit en 1725 ne subsiste que l'encadrement de la porte, les armoiries ayant été remployées dans un caveau des dépendances ; des tronçons du mur d'enceinte reconstruit en 1726, des vestiges de terrasse et de l'escalier de liaison sont également conservés, de même que la porte dite de Porrentruy. Les bâtiments survivants servent aujourd'hui à la maison familiale de vacances Saint‑Bernard, et le hameau actuel de Lucelle s'est développé sur l'emplacement de l'ancienne abbaye, partagé entre la commune française de Lucelle et la commune suisse de Pleigne.