Origine et histoire de l'Abbaye de Saint-Benoît-en-Woëvre
L'abbaye de Saint-Benoît-en-Woëvre, fondée en 1128, est un ancien établissement cistercien qui a vécu pendant six siècles et demi et fut l'une des quatre filiales de La Crête. Reconstruite au XVIIIe siècle dans un style classique, sur un emplacement décalé par rapport à l'ancien site, elle fut fermée à la Révolution ; ses bâtiments restèrent en relativement bon état jusqu'à la Première Guerre mondiale, puis, utilisée comme poste de commandement allemand lors de la bataille de Saint-Mihiel, elle fut bombardée le 24 septembre 1918 et rasée, ne conservant aujourd’hui que sa façade. L'abbaye, repérée sur les cartes comme « château ruiné », se situe à la lisière du village de Saint-Benoît-en-Woëvre, au croisement des routes D901 et D904, à une demi-douzaine de kilomètres du centre de Vigneulles-lès-Hattonchâtel et à moins de deux kilomètres au nord de la LGV Est européenne. Le monastère est bâti dans la vallée peu marquée de l'Yron, à environ 228 mètres d'altitude ; le site est bordé au sud-ouest par l'étang de Vigneulles et, au nord, par les étangs Belian, des Anceviennes, de Wendel et d'Afrique. Située à la limite des départements de la Meuse et de la Moselle, l'abbaye se trouvait dès sa fondation à la frontière des évêchés de Verdun et de Metz.
La fondation tient à un don d'Airard (ou Aderard), fils du comte Hugues de Rinel, et de sa femme, en la forêt de Richardménil ; le premier abbé se nomme Albert. À l'origine dédiée à Benoît de Nursie, l'abbaye, initialement bénédictine, devient en 1132 fille de La Crête et entre dans la filiation de Morimond ; les évêques de Verdun et de Metz confirment sa fondation et ses possessions. Deux bulles pontificales, datées respectivement du 13 novembre 1147 et du 23 décembre 1182, prises par les papes Eugène III et Lucius III, la prennent sous leur protection et confirment ses biens ; ces documents mentionnent notamment un abbé nommé Lambaldus en 1147 et un autre Lambaldus attesté en 1174 et 1182.
Durant le Moyen Âge, les religieux aménagent les marécages voisins et créent les étangs qui drainent le territoire, développent un important domaine agricole par la création de granges et construisent deux maisons de refuge à Thiaucourt et à Lachaussée. Dès 1150 ou 1156, l'abbaye fonde une maison fille, Lisle-en-Barrois, qui, à une date indéterminée et en profitant des troubles de la guerre, passe dans la filiation directe de Morimond. En raison de sa situation en Lorraine, l'abbaye n'est passée en commende que tardivement, en 1746.
Au XVIIe siècle la communauté est très réduite : en 1630 elle compte neuf religieux, puis, en 1680, outre l'abbé et le prieur, seulement cinq moines, et en 1688 elle n'en compte plus que quatre, dont deux prêtres. Jean de la Ruelle est l'un des abbés qui précèdent Jacques-François de Collenel, celui-ci abandonnant le site originel jugé malsain pour faire édifier, à partir de 1740, de nouveaux bâtiments à quelque distance du précédent emplacement ; ces travaux, commencés en 1740 et encore inachevés en 1744, se révèlent trop ambitieux et ruinent l'abbaye. Le nouvel ensemble prend l'allure d'un palais plutôt que d'un monastère : la façade et le fronton sont richement sculptés, l'intérieur comprend une salle de réception richement ornée, un billard et peut-être un petit théâtre, tandis que la bibliothèque paraît relativement pauvre. La nouvelle église abbatiale, élevée en 1745, mesurait 148 pieds — soit environ cinquante mètres — et comportait vingt-deux stalles, huit verrières hautes et une coupole ; le seul marbre employé a coûté 5 500 livres.
À la fin de l'Ancien Régime, l'abbaye échoit en 1746 à Stanislas Alliot, nommé abbé commendataire et premier et dernier titulaire en ce rôle ; sous son administration les biens sont hypothéqués et, en 1776, le mobilier est saisi par les créanciers du monastère. Lors de la Révolution l'abbaye est fermée, les quatre derniers religieux sont expulsés et l'église abbatiale détruite ; l'architecte Jean-François Neveux, chargé de l'inventaire, relève le mauvais état de nombreuses parties du bâtiment, et une partie du mobilier liturgique est transférée à l'église Saint-Étienne de Saint-Mihiel. La vente comme bien national rapporte 838 575 francs pour l'abbaye, les étangs étant vendus pour plus de 250 000 francs ; la plupart des acheteurs, des familles nobles locales, sont elles-mêmes frappées par les événements révolutionnaires et les biens finissent par revenir aux familles Arnould, Dégoutin et Mengin.
Juste avant la Première Guerre mondiale, les bâtiments, restaurés aux frais des propriétaires, sont classés monuments historiques le 3 mai 1913. Pendant la bataille de Saint-Mihiel l'ancienne abbaye sert d'abord de poste de commandement et d'hôpital de campagne pour l'armée allemande, est reprise par les Alliés puis occupée par le commandement de la 24e division d'infanterie américaine ; le bombardement du 24 septembre 1918 à l'aide d'obus incendiaires détruit l'essentiel de l'édifice et ne laisse debout que la façade principale, qui se dresse encore aujourd'hui près du croisement routier.
Sur le plan architectural, l'édifice élevé vers 1740 présentait une façade et un fronton sculptés, deux grandes salles décorées de sculptures en plâtre et en bois, et une église abbatiale remarquable par son maître-autel, son tabernacle et son retable, le trône de l'abbé, les peintures de la voûte, le mobilier de la sacristie et deux reliquaires en forme de bras d'argent renfermant des reliques de saint Benoît et de saint Bernard ; ces éléments témoignent du caractère monumental et ornemental de la reconstruction, dont il ne subsiste aujourd'hui que la façade. Les ruines de l'abbaye font l'objet d'une inscription au titre des Monuments historiques par arrêté du 9 octobre 2024.
Fille de Morimond, Saint-Benoît-en-Woëvre a donné naissance à Lisle-en-Barrois et disposait dès ses origines d'importantes dotations ; au fil des siècles elle a reçu des dîmes et conclu des traités avec les seigneurs locaux, et possédait aux XVIIe et XVIIIe siècles de nombreuses terres, étangs, fermes, moulins et maisons répartis dans divers villages de la région, biens qui furent confisqués et vendus entre 1791 et 1794. La liste des abbés, qui s'étend d'Albert, premier abbé, à Stanislas-Catherine Alliot à la Révolution, recense de nombreux titulaires dont Jean de La Ruelle et Jacques Collenel, acteurs de phases importantes de l'histoire et de la transformation du monastère.