Origine et histoire de l'Abbaye
L'abbatiale de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu, en Loire-Atlantique, est le seul grand vestige de l'ancienne abbaye fondée au IXe siècle par des moines bénédictins sous l'autorité de l'abbé Arnoul. De style carolingien, l'édifice a hébergé un temps le corps de saint Philibert, qui a donné son nom à la commune. Construite vers 815 sur le domaine de Déas, donné au VIIe siècle au moine Philibert, l'abbaye dépendait de Noirmoutier et sa création fut autorisée par Louis Ier. Située plus à l'intérieur des terres, elle offrait une protection contre les raids vikings qui frappaient la région. Selon l'Érmentaire, les moines ouvrirent la tombe de saint Philibert le 7 juin 836, empruntèrent la voie romaine via le Bois-de-Céné et Paulx, et se réfugièrent à Déas avec les reliques ; sous l'abbé Hilbod, le site fut aménagé pour mieux résister aux pillages. En 847, les Normands incendiarent l'abbatiale et le monastère ; la crypte fut alors murée avec le tombeau à l'intérieur, protégeant la châsse des dommages. Les moines reconstruisirent l'abbatiale puis partirent à Tournus en emportant les reliques, dont celles de Vital de Saint-Viaud présentes depuis 836. Au XIe siècle, les moines de Tournus fondèrent un prieuré sur le site, dépendant de leur abbaye, et en 1119 la paroisse prit officiellement le nom de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu. Un clocher en bois fut élevé au XIVe siècle au-dessus du porche, puis le site subit de nouveaux dommages lors des guerres de religion qui atteignirent le chœur, le porche et le clocher. L'église devint paroissiale au XVIIe siècle, puis fut vendue comme bien national en 1791 ; pendant les insurrections vendéennes, elle servit de hangar à fourrage et de dépôt de munitions. Après la construction d'une nouvelle église paroissiale en 1869, l'abbatiale fut transformée en marché couvert et ses murs furent abaissés de trois mètres, tandis que la couverture de grange mise en place fut percée de verrières. La découverte du sarcophage en 1865 relança l'intérêt pour le site ; des travaux furent menés à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, et l'abbatiale fut classée au titre des monuments historiques en 1896 alors qu'elle était désaffectée. Elle fut réaffectée au culte en 1936 ; cette même année une fête commémora le onzième centenaire du transport des reliques et une relique de saint Philibert fut déposée dans le sarcophage. Aujourd'hui l'abbatiale est l'un des monuments importants du pays de Retz, ouverte aux visiteurs et accueillant environ 9 000 visiteurs par an, ainsi que des expositions et des cérémonies religieuses ponctuelles, dont la Fête de la Saint-Philibert.
L'édifice conserve une architecture essentiellement carolingienne enrichie d'éléments romans et d'aménagements postérieurs. La nef actuelle, reconstruite après 847, comporte quatre travées alors que la première église en comptait six ; on perçoit encore l'amorce d'un arc appartenant à l'un des quatorze piliers primitifs. Les dix piliers actuels, cruciformes, alternent pierre et brique et furent renforcés au fil du temps ; les arcs conservent le motif alternant tuffeau et brique propre à l'époque carolingienne et furent complétés par des arcs romans entre le IXe et le XIIe siècle. Le chevet a subi d'importantes transformations : le déambulatoire primitif, composé de trois absidioles et conçu pour faciliter le passage des pèlerins et la visite des reliques via une fenestella, a été remplacé par un mur droit. La crypte, ou « confession », située sous le chœur, abrite le sarcophage de saint Philibert ; ses murs furent élevés par l'abbé Hilbod en 836 puis totalement murés en 847 pour protéger le tombeau.
Le sarcophage lui-même est de style mérovingien, taillé dans un bloc unique de granit bleu provenant des carrières de Saint-Béat ; orné de deux croix mérovingiennes, il mesure 2,05 m de long pour 0,7 m de haut. Philibert, inhumé en 686 à Noirmoutier, fut exhumé en 836 et transporté en quatre jours jusqu'à Déas où il fut replacé dans ce sarcophage, qui resta vide après le départ des reliques pour Tournus et fut retrouvé lors des fouilles de 1865. Parmi les autres monuments funéraires figurent la dalle de Guntarius, couvrant la sépulture d'un moine inhumé entre les IXe et Xe siècles dans le chœur, et la pierre gravée de Guillaume Chupin datée de 1440, qui ne servit pas à son inhumation et fut utilisée comme table d'autel à partir de 1663, subissant des dommages à cette occasion.
L'ornementation actuelle comprend des vitraux réalisés en 1936 par le maître-verrier Jacques Grüber, de facture néo-médiévale : le vitrail au-dessus du maître-autel représente saint Philibert bénissant et la barque transportant son sarcophage, tandis que le vitrail du déambulatoire figure sainte Anne. Un ex-voto gravé dans la pierre de tuffeau sous l'autel majeur est interprété comme une dédicace de l'église ou, plus rarement, comme un remerciement de pèlerin. L'abbatiale conserve des statues — dont une statue en bois de saint Philibert, une Vierge à l'Enfant polychrome et des statues provenant de la chapelle du manoir de l'Hommelais — ainsi qu'un tableau de la Déploration du Christ, anciennement au manoir et restauré après des dégradations. Les fouilles ont mis au jour plusieurs bénitiers datés des XIIe–XIIIe siècles, ainsi que des fonts baptismaux à deux cuves et un lavabo destiné aux pèlerins, dont la position élevée résulte des travaux de 1900 ; une clef carolingienne, dont la poignée rappelle le dessin de la nef, a également été retrouvée dans la crypte.
Autour de l'abbatiale subsistent des éléments de l'ancien ensemble conventuel : un jardin médiéval reconstitué, réparti en trois espaces entre l'abbatiale et la Boulogne, le prieuré construit en continuité de la façade sur l'emplacement du monastère incendié de 847 — restauré en 1762, vendu comme bien national en 1791, racheté par la commune en 1993 et désormais occupé par l'office de tourisme — et une dépendance en schiste des XVe–XVIe siècles qui abrite un musée d'avifaune et de minéralogie.