Origine et histoire de l'Abbaye
L'ancienne abbaye de Saint-Riquier, dont l'église abbatiale s'inscrit aux XVe-XVIe siècles, est un édifice religieux majeur de la Picardie et l'un des exemples les plus complets du gothique flamboyant en Picardie maritime. Selon la tradition, Riquier de Centule aurait fondé l'abbaye au VIIe siècle et, sous l'abbatiat d'Angilbert au IXe siècle, elle fut un important centre culturel, intellectuel et religieux. Les invasions normandes laissèrent l'abbaye en ruine ; elle fut réparée au XIe siècle et une crypte dite de Gervin fut construite à l'est du chœur. Incendiée en 1131 par Hugues de Campdavène, puis restaurée, l'abbatiale connut à partir de la seconde moitié du XIIIe siècle une vaste campagne de construction engagée par Gilles de Machemont, qui entreprit le transept, le chœur, le déambulatoire, les chapelles rayonnantes, le cloître et la salle capitulaire. La chapelle Saint-André fut consacrée en 1274 ; la chapelle de la Vierge, axiale, et la chapelle Saint-Laurent appartiennent à la même campagne de travaux. Les successeurs de Gilles poursuivirent ces travaux jusqu'aux troubles de la Guerre de Cent Ans, puis la reprise du chantier se manifesta au XVe siècle sous Pierre Le Prestre, qui fit daller et décorer l'église, aménager un enfeu dans la chapelle de la Vierge, peindre les voûtes et entreprendre la construction d'un palais abbatial. Après l'incendie de 1475, réparations et travaux se poursuivirent sous Eustache le Quieux avec l'architecte Nicolas Lesveillé, malgré un nouveau sinistre en 1487, jusqu'à l'ouverture des chapelles absidiales, du trésor, de la nef orientale et de divers bâtiments conventuels avant 1511. Thibault de Bayencourt acheva la nef en élevant les deux dernières travées occidentales et procéda au rhabillage de la tour occidentale jusqu'en 1536. Passée en commende en 1537, l'abbaye fut à nouveau dévastée en 1554 par les troupes de Philippe II ; l'église, à l'exception de la chapelle de la Vierge et de deux chapelles voisines, ainsi que plusieurs bâtiments conventuels, furent incendiés. Au XVIIe siècle, des réparations et aménagements firent couvrir l'aile est du cloître, le transept et les bas-côtés, reconstruire le mur d'enceinte et entreprendre le bâtiment du dortoir ; la réforme de Saint-Maur, adoptée en 1660 sous Charles d'Aligre, redonna prospérité et permit la construction d'un nouveau logis abbatial et la restauration des charpentes, toitures et voûtes. Les bâtiments conventuels furent largement reconstruits à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle, puis gravement endommagés par un incendie le 29 mars 1719 ; l'ensemble fut néanmoins réparé rapidement dans la première moitié du XVIIIe siècle. Après la Révolution, l'abbaye fut vendue comme bien national ; l'église devint paroissiale le 12 novembre 1791 après son achat par l'abbé Callé, mais son état se dégrada encore avec la tempête de l'an XI, rendant des réparations urgentes. Au XIXe siècle, des travaux importants furent conduits, notamment par Cheussey qui remania les arcs-boutants de la face sud, puis par une succession d'architectes — Daniel Ramée, Aymar Verdier, Natalis Daullé, Danjoy, Hardion et Henri Deneux — qui intervinrent jusqu'au début du XXe siècle ; sous Deneux, les couvertures du déambulatoire et des chapelles rayonnantes furent remplacées par des terrasses en ciment en 1908-1909 et cette pratique s'étendit aux bas-côtés en 1911. L'abbatiale, inscrite au titre des monuments historiques dès 1840 et complétée par des protections en 1960 et 1965, appartient à un ensemble monumental plus vaste et se distingue par ses dimensions et ses proportions : longueur intérieure 96,60 m, largeur de la nef 13 m, bas-côtés 10,40 m, voûtes à 24,60 m et tour élevée à 48,80 m. La façade occidentale s'ouvre par trois portails richement sculptés, aujourd'hui altérés par l'érosion et les destructions révolutionnaires ; elle est surmontée d'un clocher carré flanqué de deux tourelles hexagonales abritant les escaliers. Le tympan central représente un Arbre de Jessé avec la Vierge à l'Enfant et la Trinité, encadré par les abbés Eustache Le Quieux et Thibault de Bayencourt, tandis que le grand gâble porte le Couronnement de la Vierge ; d'autres scènes et statues ornant les tympans et le clocher évoquent des épisodes bibliques et des saints. La nef, de plan basilical à trois vaisseaux et six travées, fut amorcée au XIIIe siècle et remaniée au XVe siècle ; elle présente deux niveaux d'arcades et un large décor de feuilles et de végétaux sculptés sur nervures, clefs de voûte et chapiteaux. Les bas-côtés sont ornés de clefs pendantes et abritent les fonts baptismaux ainsi que des châsses en bois doré de Saint Mauguille et de Saint Vigor. L'orgue, originaire de l'abbaye des Prémontrés de Chartreuve et installé sous le clocher en 1731, a connu plusieurs interventions (Labour, relevage en 1854, modifications à la fin du XIXe siècle et restauration par Laurent Plet de 2001 à 2005) ; il compte 30 jeux répartis sur trois claviers et un pédalier. Le transept, séparé de la nef par une grille du XVIIe siècle, présente des voûtes à liernes et tiercerons, des clefs sculptées de feuillage et une balustrade flamboyante reposant sur un larmier décoré de petites têtes. Le chœur du XIIIe siècle conserve 68 stalles en chêne du XVIIe siècle et un maître-autel à la romaine offert par Charles d'Aligre, composé de panneaux de marbre blanc sculptés et classé au titre d'objet, ainsi que des chandeliers et une lampe de chœur en argent ciselé également classés. Le déambulatoire et les chapelles rayonnantes présentent une décoration uniforme avec boiseries de chêne sculptées, peintures et grilles de fer forgé ; la chapelle axiale de la Vierge, plus vaste, est ornée de culs-de-lampe polychromes illustrant de nombreuses scènes de la vie de la Vierge et d'une série de statues de saints. Les chapelles latérales abritent des retables et tableaux d'artistes tels que Claude Guy Hallé, Antoine Paillet, Louis de Silvestre, Antoine Coypel, Jean Jouvenet, Nicolas-Bernard Lépicié et Bon Boullongne, ainsi que des statues et éléments sculptés remarquables, certains classés au titre d'objet. La salle du Trésor, accessible au-dessus du cloître, conserve des voûtes à multiples nervures, des peintures murales du XVIe siècle (notamment Le Dit des trois morts et des trois vifs et des scènes liées à saint Riquier et saint Marcoul), des reliquaires, crucifix et autres objets liturgiques allant du XIIe au XVIIIe siècle. La tour-clocher renferme plusieurs cloches et timbres d'horloge dont certains datent des XVIIe et XVIIIe siècles ; après la confiscation révolutionnaire, l'abbatiale reçut en septembre 1791 une cloche provenant de l'ancienne église Sainte-Catherine d'Abbeville, et plusieurs cloches et timbres ont fait l'objet de restaurations récentes. Des fouilles menées en 1989 mirent au jour des ossements attribués un temps à Nithard ; des études scientifiques ultérieures ont montré qu'il ne s'agissait pas de cet abbé laïc, les restes ayant été conservés puis exposés après examen.