Origine et histoire de l'Abbaye fortifiée de Loc-Dieu
L'ancienne abbaye cistercienne de Loc-Dieu, située à Martiel à neuf kilomètres à l'ouest de Villefranche-de-Rouergue (Aveyron), est aujourd'hui une propriété privée et se distingue par son caractère fortifié. Elle a été fondée au début du XIIe siècle par des religieux venus de Dalon ; la première pierre fut posée le 28 août 1124 et le cloître édifié en 1144. Les sources divergent sur le nombre exact des fondateurs, douze ou treize moines, mais s'accordent sur le soutien apporté par l'évêque de Rodez et par des seigneurs locaux, notamment Ardouin de Parisot qui fit un don important. Le site, ancien bois marécageux traversé par une voie romaine et fréquenté par des brigands, passa de la légende du locus diaboli au nom de Locus Dei après l'installation des moines. En 1162, Loc-Dieu se rattacha officiellement à l'ordre cistercien par l'intermédiaire de l'abbaye de Pontigny. La nef de l'abbatiale, commencée en 1159 avec l'intervention des maîtres de Pontigny, fut achevée en 1189 et les travaux se poursuivirent jusqu'à la fin du XIIIe siècle. La communauté s'agrandit sous la règle cistercienne — une vingtaine de religieux au début du XIVe siècle — avant de ne plus compter que trois moines à la Révolution. En 1411 l'abbaye fut envahie et pillée par les Anglais ; le cloître primitif fut incendié et ne fut reconstruit qu'à partir de 1470 par Étienne II de Firminiac, dont la tombe se trouve dans la salle capitulaire et dont les armes figurent sur une clé de voûte. Les reconstructions du XVe siècle élevèrent les constructions et leur donnèrent un aspect défensif : les ailes est, sud et ouest furent remaniées dans un gothique du XVe siècle et un chemin de ronde longe les façades. À partir du XVIe siècle la pratique de la commende provoqua des négligences de gestion et la dégradation des bâtiments, puis l'abbaye fut vendue comme bien national en 1791 avec 200 hectares et transformée en exploitation agricole. Rachetée en 1812 par la famille Cibiel, elle fit l'objet de restaurations : l'aile est fut remaniée vers 1840 en style néoclassique et partiellement convertie en orangerie, et en 1885 Alfred Cibiel confia à l'architecte Paul Gout la restauration des autres ailes et de l'église. Paul Gout, élève de Viollet-le-Duc, renforça le caractère néo-médiéval et fortifié du site, modifiant notamment la tour sud-est, l'intérieur des ailes et recréant un fossé pour assainir les niveaux. La toiture du clocher fut refaite, l'église rejointoyée et une nouvelle porte d'entrée inspirée de la Chartreuse de Villefranche reçut un mobilier neuf. Disposés autour du cloître, les bâtiments conservent une abbatiale cistercienne au plan en croix latine : le chevet présente deux chapelles sur chaque bras du transept, le chœur à cinq pans est éclairé par de hautes fenêtres à meneaux, et de gros piliers carrés soutiennent la tour-lanterne à la croisée du transept. Le cloître gothique reconstruit au XVe siècle n'a conservé que trois galeries ; au jardin central se trouve le puits et la salle capitulaire du XIIIe siècle, largement ouverte sur le cloître, abrite la tombe d'Étienne II de Firminiac. L'église, commencée en roman et achevée avec des formes gothiques, respecte la sobriété cistercienne : bas-côtés romans voûtés de plein cintre, chœur gothique, absence d'ornements superflus et pierre claire mise en valeur par la lumière. Propriété des descendants de la famille Cibiel (famille Masson-Bachasson de Montalivet), l'ensemble a été consolidé et est accessible au public ; le parc actuel, d'environ 40 hectares, mêle agriculture, sylviculture et pisciculture, abrite un étang, une tour de guet et une végétation luxuriante. En 1940, des œuvres du Louvre, dont la Joconde, y furent provisoirement entreposées avant d'être transférées ailleurs pour des raisons de conservation. L'abbaye de Loc-Dieu témoigne ainsi des évolutions monastiques, architecturales et paysagères du XIIe au XIXe siècle.