Origine et histoire de l'Abbaye Notre-Dame
L'ancienne abbaye Notre-Dame de Bernay, située dans la commune de Bernay (Eure), est un monument majeur pour la compréhension des premières manifestations de l'architecture romane en Normandie. Fondée au début du XIe siècle par Judith, duchesse de Normandie, et placée sous la règle bénédictine, elle fut reprise et dotée par Richard II qui la rattacha à l'abbaye de Fécamp et confia la reconstruction à Guillaume de Volpiano. L'établissement gagna son autonomie sous l'abbé Vital de Creuilly, qui contribua à l'achèvement d'une œuvre architecturale importante. L'abbatiale a subi plusieurs dommages au cours des siècles : incendies, pillages pendant les guerres de religion et dégradations diverses aux XVIe et XVIIe siècles, puis des remaniements et démolitions liés aux changements d'affectation après la Révolution, lorsque l'abbaye fut supprimée et réaffectée à des usages civils (mairie, tribunal, prison, musée municipal, salle des fêtes). Les Mauristes prirent possession du site en 1628 et entreprirent, à partir de 1686, la reconstruction des bâtiments conventuels en pierre de taille ; ils modifièrent notamment la façade ouest et les travées occidentales de l'église et appliquèrent du stuc sur plusieurs chapiteaux. Des démolitions et modifications ont encore marqué le XIXe siècle (bras nord du transept, abside, tour centrale), puis une restauration engagée par la ville et les Monuments historiques à partir de 1963 a permis de dégager des éléments remarquables et de mieux comprendre l'importance de l'édifice au XIe siècle, travaux complétés en 1978. L'église abbatiale est classée au titre des monuments historiques (liste de 1862) et les autres bâtiments et vestiges ont fait l'objet d'inscriptions ultérieures.
Sur le plan architectural, l'abbatiale présente un chevet échelonné et des piles composées qui témoignent d'expérimentations décisives pour l'art normand ; l'élévation comprend trois niveaux — grandes arcades, tribunes avec baies géminées et fenêtres hautes — caractéristique du « mur épais normand ». Le plan en croix latine comportait une nef de sept travées avec bas-côtés (réduite aujourd'hui à cinq), un transept saillant flanqué d'absidioles et un chœur court aboutissant à une abside principale, configuration restée en grande partie fidèle à la conception romane primitive. Le passage mural du croisillon sud, destiné à relier l'escalier d'angle à la tour centrale, illustre une particularité technique reprise ailleurs en Normandie. Le chantier a mobilisé des matériaux variés, dont des blocs antiques réemployés, la pierre de Caen, du travertin et d'autres calcaires, et un appareil en assises régulières.
La sculpture de l'édifice provient de plusieurs ateliers du XIe siècle aux styles distincts : motifs humanisés et oiseaux, entrelacs et décors géométriques, ainsi que chapiteaux d'inspiration antique, et l'on relève même un chapiteau portant la signature Isembard. Les altérations successives comprennent des remaniements gothiques au XVe siècle, des aménagements mauristes au XVIIe siècle et des pertes importantes d'éléments liturgiques et documentaires au moment des saccages et de la Révolution. L'ancienne abbaye conserve néanmoins sa valeur documentaire et architecturale : la longueur intérieure primitive était d'environ 67 m (environ 50 m aujourd'hui) et la hauteur des murs latéraux de la nef atteint près de 16,75 m, ce qui donne une idée de l'échelle et de l'ambition du projet initial.
