Origine et histoire de l'Abbaye Notre-Dame de Nanteuil
L’abbaye Notre‑Dame de Nanteuil, aujourd’hui en ruines, se trouve sur la commune de Nanteuil‑en‑Vallée en Charente. Selon les chartes anciennes, sa fondation carolingienne est attribuée à Charles le Chauve, autour des années 850, et un petit oratoire aurait existé auparavant à l’endroit où la rivière Argentor décrit une courbe, oratoire que l’on croit fondé par saint Martial. Les moines bénédictins s’y installent mais l’établissement primitif est détruit par les invasions vikings au début du Xe siècle. Relevée vers la fin du Xe siècle par un personnage appelé Guillaume le noble, l’abbaye est alors placée sous la dépendance de l’abbaye Saint‑Cyprien de Poitiers, aucun abbé n’étant élu sans l’accord de l’archevêque de Bordeaux et de Saint‑Cyprien. Rapidement influente, l’abbaye voit plusieurs de ses religieux devenir évêques et s’implique dans des conflits locaux, notamment avec Robert d’Arbrissel au sujet d’une chapelle. Un premier édifice roman est élevé vers 1050, puis remplacé à la fin du XIe siècle par une vaste église. Les XIIe et XIIIe siècles constituent la période la plus florissante : de nombreuses donations viennent accroître les domaines de l’abbaye, attirées par une importante collection de reliques à l’origine de la construction de la imposante salle du Trésor encore conservée. Dès le début du XIIIe siècle, Hyrvoix, seigneur de Ruffec, reconnaît aux moines la juridiction sur Nanteuil et lui abandonne ses droits locaux. En 1304 l’archevêque de Bordeaux Bertrand de Got visite l’abbaye; devenu pape sous le nom de Clément V, il la place sous la protection spéciale du Saint‑Siège. L’abbaye se trouve également sur un des itinéraires du pèlerinage de Saint‑Jacques‑de‑Compostelle en Charente.
La guerre de Cent Ans puis les guerres de Religion infligent de lourdes destructions : l’abbaye est entourée de murailles pour se protéger, mais elle est incendiée par des Anglo‑Normands puis pillée par des Anglo‑Gascons, pertes qui comprennent dix‑huit cloches et l’ensemble des reliques et objets précieux du culte. La reconstruction est entreprise par l’abbé Aymery Texier, qui réunit les moines dispersés et regroupe des ressources en rattachant ou en obtenant des revenus de prieurés dépendants ; Nicolas Ymbault lui succède et achève la restauration en 1492. La mise en commende en 1530 compromet durablement la prospérité de la maison ; au XVIIe siècle il ne subsiste que des titulaires d’offices souvent recrutés localement, et en 1770 l’évêque de Poitiers supprime l’abbaye en unissant ses biens au séminaire de Poitiers. L’ensemble est acquis et restauré intégralement dans les années 1980 par le sculpteur Dominique Piéchaud.
Sur le plan architectural, l’église abbatiale du XIIe siècle se présente comme un édifice d’imposantes proportions : sa façade s’ouvrait au nord‑ouest devant un rocher taillé à pic, l’ensemble comprenant trois nefs, un transept saillant et un chœur doté d’une déambulatoire et de chapelles rayonnantes très étendues. Le style des chapiteaux situe la façade occidentale autour de 1125‑1130, et plusieurs éléments sculptés romans sont conservés au musée d’Angoulême. Les grands greniers datent des XIIIe et XIVe siècles.
Le Trésor, petit monument presque unique, s’élève au sud‑est de l’abside sous la forme d’une tour carrée ornée sur chaque face de trois hautes arcatures ; ses doubles archivoltes reposent sur des colonnes groupées et s’appuient sur des pilastres très élancés. Ce vaste bâtiment, percé de fenêtres géminées en arc brisé, a pu servir de chartrier et de dépôt pour les objets précieux ; il conserve à l’intérieur des traces de peintures murales et présente deux salles superposées couvertes de voûtes d’arêtes romanes. La salle supérieure n’est accessible que par une porte située à plusieurs mètres du sol, l’absence d’escalier ayant conduit à appeler la salle basse le Charnier lorsque l’on y déposa des ossements après les déblaiements. Restauré par l’État dans les années 1950, le Trésor est désormais ouvert au public en été.
L’église était par ailleurs couronnée de plusieurs tours à flèches élevées ; la dernière, démolie vers 1830, renfermait encore six cloches. Les bâtiments conventuels entouraient l’église, le cloître s’appuyant au mur sud de la nef, et les communs s’étendant au‑dessous de l’enceinte claustrale ; de cet ensemble subsistent la porte ouest de l’abbatiale flanquée de deux chapiteaux romans, le Trésor et une partie des servitudes, le plan d’ensemble restant toutefois reconnaissable. De nombreux fragments sculptés provenant de l’abbaye ont été réemployés dans les murs du bourg ; on signale un curieux chapiteau du XIIe siècle dans le jardin de la cure, quelques chapiteaux gothiques du cloître sur place, et de très beaux tympans de la salle capitulaire conservés au musée archéologique de Poitiers, d’autres fragments étant conservés au musée des Beaux‑Arts d’Angoulême.