Origine et histoire de l'Abbaye Saint-Jean de Montierneuf
L'église Saint-Jean de Montierneuf, abbatiale de l'ancienne abbaye bénédictine de Montierneuf à Poitiers, présente une physionomie composite mais repose sur une assise romane. Le monastère fut fondé par Guillaume VIII d'Aquitaine en 1069, qui obtint pour cela une dispense pontificale pour épouser sa cousine Audéarde (ou Hildegarde) de Bourgogne ; le peuple l'appela immédiatement Montierneuf, le monastère neuf. Les travaux, menés avec l'emploi généralisé de la pierre d'appareil, s'étendent de la fondation à la consécration par le pape Urbain II en 1096, après une autorisation pontificale donnée par Grégoire VII. Guillaume souhaitait que l'abbaye accueille cent moines et l'affilia à la congrégation de Cluny pour en faire un modèle et y établir sa sépulture. Placée sous l'autorité de Cluny, elle reçut un prieur et dix-huit moines et prospéra rapidement, accueillant notamment les tombeaux des ducs d'Aquitaine.
Les tombeaux furent brisés et des bâtiments détruits lors des violences de 1562, lorsque le cloître fut incendié et nombre d'édifices religieux atteints. Plusieurs campagnes de restauration ont suivi aux XVIIe et XVIIIe siècles, mais l'abbaye connaît ensuite un long déclin ; la tentative de redressement menée par la congrégation de Saint-Maur n'empêcha pas la séparation des derniers religieux en 1787. Transformée en écurie pendant la période révolutionnaire puis rendue au culte après 1805, l'église fit l'objet de travaux de restauration sous l'abbé Sabourin au début du XIXe siècle, qui firent disparaître ou refondre de nombreux chapiteaux romans en stuc moulé ; parmi les chapiteaux sauvés figure celui des éléphants, conservé au musée Sainte-Croix de Poitiers et considéré comme la plus ancienne représentation d'éléphants dans l'art français. L'église fut inscrite au premier inventaire des Monuments historiques en 1840 et dix vitraux de la façade et du transept nord ont été restaurés à la fin de 2010.
À la Révolution, l'abbaye fut convertie en caserne, des bâtiments y furent ajoutés jusqu'en 1829 et l'ensemble prit le nom de Quartier Dalesme en 1887 ; plusieurs régiments d'artillerie s'y succédèrent, puis les lieux accueillirent l'ENSMA et, depuis les années 1990, des cours universitaires, une cité universitaire et un Institut d'administration des entreprises, ainsi qu'un cinéma associatif, Le Dietrich, dans un bâtiment annexe. L'ensemble monastique, profondément remanié, conserve une aile de cloître remarquable par sa façade symétrique, son fronton et ses contreforts surmontés d'ailerons.
L'église, bâtie hors de la muraille romaine à proximité du Poitiers médiéval, ne se fortifia que tardivement et le bourg qui s'était développé finit par s'intégrer aux remparts élevés au XIIe siècle ; elle se trouve aujourd'hui en centre-ville. Le plan de l'abbatiale est simple : nef flanquée de bas-côtés, transept et chœur prolongé par un déambulatoire. La coupole de la croisée, voûtée en arc de cloître et renforcée de nervures, correspond à un gothique archaïque du XIIIe siècle.
Le chevet, de style gothique rayonnant, a été reconstruit avec des arcs-boutants proches de la maçonnerie portant encore leurs gargouilles et ornés des armoiries des abbés ; deux arcs-boutants à double arc semblent traduire des reprises, et l'ensemble a été fortement remanié au XVIIe siècle, comme l'indiquent la stéréotomie et des sculptures intérieures. Le chœur, daté de la seconde moitié du XIIIe siècle, associe piles et arcades romanes à une abside pentagonale claire ; les nervures retombent sur des consoles décorées de masques feuillagés et trois chapelles rayonnantes, de type roman, sont consacrées à saint Joseph, à Notre-Dame du Bon Secours (à l'est) et à sainte Barbe.
La nef a subi de graves dommages lors de l'incendie de 1562, entraînant l'effondrement des voûtes et du bras sud du transept ; au milieu du XVIIe siècle la travée occidentale fut supprimée pour ouvrir une nouvelle façade classique en moellons décorée de colonnes corinthiennes, d'un fronton et d'ornements baroques, tandis que des éléments de l'ancienne façade romane furent remployés. La nef et les collatéraux furent alors reconstruits en plein cintre à une hauteur moindre que les voûtes originelles, et l'abaissement de la nef a modifié les proportions intérieures ; à la fin du XVIIIe siècle l'effondrement du clocher massif détruisit de nouveau les voûtes et la tombe du fondateur, ne laissant que deux tourelles et des fragments du tambour. Malgré ces transformations, la pureté du plan roman demeure lisible au sol, notamment par la longueur inhabituelle des collatéraux alignés sur le déambulatoire et par l'emploi mesuré du décor monumental : grands arcs de décharge dans les bras du transept, arcatures basses autour de l'abside et larges baies à double ébrasement.
L'église abrite un cénotaphe orné d'un gisant de Guillaume VIII ; le monument qui couvrait sa tombe fut partiellement détruit par l'effondrement des voûtes, reconstruit puis à nouveau démoli à la Révolution, et le gisant restauré au XIXe siècle par l'abbé Sabourin d'après un modèle du XVIIe siècle, d'où son caractère anachronique ; l'œuvre attribuée à un certain Benoist fut vivement critiquée et défendue par son auteur comme une copie fidèle d'une sculpture antérieure. La tombe médiévale, puis sa version du XVIIe siècle, occupait le centre de la nef ; lors de la reconstruction, le monument fut déplacé dans le collatéral sud tandis que le corps resta au centre, si bien que le fondateur reste inhumé au centre de l'église. Les chapelles du transept nord et sud sont respectivement dédiées à saint Isidore et à saint Maurice.
Parmi les abbés et moines notables figurent Guy, ancien grand-prieur de Cluny, et son neveu Étienne de Joinville, qui le suivit à Montierneuf.