Origine et histoire de l'Abbaye Saint-Martin
L'abbaye Saint-Martin de Troarn, fondée au XIe siècle, est implantée sur la commune de Troarn (Calvados, Normandie) et fait l'objet d'un classement au titre des monuments historiques le 30 avril 1921. Dediée à saint Martin, elle jouit d'une grande renommée au Moyen Âge et fut la seconde abbaye du diocèse de Bayeux, après Saint-Étienne-de-Caen. Placée sous la règle de saint Benoît, elle abritait au XIIIe siècle une quarantaine de moines. Pendant sept siècles, les moines contribuèrent à la mise en valeur des marais de la Dives, des herbages de la vallée d'Auge et des vignes de la campagne de Caen. Charles IX et Catherine de Médicis y séjournèrent et l'abbaye fut incendiée en 1562 par l'amiral de Coligny. Mise en vente pendant la Révolution, l'église et le cloître furent démolis après 1792.
La fondation remplace une communauté de chanoines : en 1022, douze moines venus de l'abbaye de Fécamp sont établis à Troarn par Roger Ier de Montgommery, puis vers 1050 Roger II installe des Bénédictins autonomes venus de Conches. La première église est dédiée en 1059. Les fondateurs et donateurs, dont Roger II de Montgommery, sa femme Mabille de Bellême et Guillaume, roi d'Angleterre, dotent l'abbaye de marais, d'églises et de terres en Normandie et en Angleterre. La succession des abbés réguliers, à partir de Durand de La Trinité de Fécamp qui reconstruisit l'église après 1059, puis Arnoult, Robert, André, Richard (dont les dons furent confirmés par le pape Eugène III) et leurs successeurs, marque la vie monastique jusqu'au XVe siècle. Des événements notables affectent la communauté : la sépulture de Mabile de Bellême en 1077, la présence de Saint Louis en 1269, la confiscation des revenus par le roi anglais Henri V au début du XVe siècle et la prise de l'abbaye par les Anglais en 1450.
À partir du milieu du XVe siècle apparaissent les abbés commendataires, le premier connu étant Guillaume de Silly en 1444, et la commende entraîne progressivement la déchéance morale et financière du monastère. Au XVIe siècle, les troubles religieux portent un coup sévère : en 1562 l'abbaye est pillée, et en 1563 les armées de Coligny, conduites localement par François de Malherbe et Gilles de Benneville, détruisent le cloître ; le monastère reste plusieurs années en ruine. Entre 1618 et 1748 la famille de Bouscher de Sourches détient la charge abbatiale, période durant laquelle l'abbaye passe sous économat et décline. En 1786 la manse conventuelle est transformée en chapitre régulier de chanoinesses annexé à la Maison royale de Saint-Louis de Saint-Cyr, et la loi du 15 février 1790 disperse les derniers moines.
Le temporel de l'abbaye est important : constitué par les dons des Montgomery, de Guillaume le Conquérant et de leurs vassaux, il comprend terres, rentes et droits qui aboutissent à une exploitation économique comparable à une activité de crédit. L'abbé exerce la seigneurie et la baronnie avec moyenne et basse justice, perçoit les dîmes sur de nombreuses paroisses locales, tient un marché hebdomadaire, deux foires annuelles, possède fours, pressoirs, moulins, colombiers, droits de chasse et de pêche, le bac de Troarn et plusieurs patronages d'églises. L'abbaye détient huit prieurés, souvent semi-autonomes, qui alimentent ses revenus ; parmi eux figurent Le Goulet, prieuré fondé par Roger de Montgommery, le prieuré du Désert, Cagny, Notre-Dame-des-Moutiers, Tailleville, Réville, Dives, Sainte-Marie-Madeleine-de-Saulx (fondée comme hôpital par Robert Fitz Erneiz) et Fresney-le-Puceux (fondé par les familles Marmion et Touchet).
Son influence religieuse s'étend sur une cinquantaine d'églises et de droits de dîme dans les diocèses de Bayeux, Coutances, Avranches, Lisieux, Séez et Le Mans. Les moines exploitent également les marais de la Dives, dont ils ont la moitié de la tourbe, des pêcheries, des salines à Robehomme, Varaville et Sallenelles, des bois, des maisons (notamment à Caen), des moulins et divers fiefs. Il subsiste aujourd'hui quelques vestiges, dont un édifice du XIIIe siècle classé au titre des monuments historiques le 30 avril 1921 ; le portail du XIVe siècle, inscrit le 25 juin 1928, a été remonté à Banneville-la-Campagne et sert d'entrée au château. L'aumônerie fut démontée et reconstruite à la sortie de Troarn, et le tombeau du chevalier Hugues, qui comportait des sculptures romanes, a été transporté dans l'église paroissiale de Saint-Martin-de-Marais.
Les archives conservent des rapports de visite des XVIIe et XVIIIe siècles, deux plans dressés en 1778, le cadastre napoléonien et un relevé de 1911 qui permettent de restituer la distribution des bâtiments : grande porte d'entrée ouvrant sur une place, cour commune avec le logement du portier, écuries, aumônerie, grange, pressoir, maisons du prieur et des abbés, petite cour abritant le chartrier et l'infirmerie. Le cloître mesurait 34 × 34 m avec des galeries larges de 3,40 m ; l'église, en croix latine, possédait une nef avec deux bas-côtés, un transept flanqué de quatre chapelles et un chœur à chevet plat ; ses dimensions sont données à 76 × 11 m hors collatéraux et ses deux tours à 26 m de hauteur. Le portefeuille de l'intendant de Caen, N. J. Foucault, contient des dessins du tombeau de Mabille, d'une pierre tombale d'abbé, du tombeau de Guillaume de Silly et des cénotaphes des abbés Mathurin de Harville et Anthoine de Brunfay.
Les armoiries anciennes de l'abbaye restent mal établies : l'Armorial général de 1696 la représente d'azur à trois fleurs de lis d'or mal ordonnées bordé de gueules semé de huit besans d'argent, tandis que les cachets du XVIIIe siècle montrent les fleurs de lis régulièrement disposées. Sur les sceaux, en 1271 saint Martin apparaît en costume épiscopal bénissant et tenant un livre de la Règle, et le sceau de Philippe de Touchet montre un abbé debout, tête nue, tenant une crosse et un livre de la Règle. Restent donc des vestiges dispersés, des plans et des documents qui témoignent de l'importance territoriale, spirituelle et architecturale de l'abbaye Saint-Martin de Troarn.