Origine et histoire de l'Abbaye Saint-Martin du Canigou
L'abbaye Saint-Martin du Canigou se dresse sur les contreforts occidentaux du massif du Canigou, près de Casteil, dans les Pyrénées-Orientales. Une église dédiée à saint Martin existait déjà au Xe siècle et recevait des pèlerins. Au début du XIe siècle, Guifred II, comte de Cerdagne et de Conflent, accompagné de son épouse et de sa mère, fit d’importants dons pour établir un monastère bénédictin ; une communauté venue de Cuxa participa à la fondation. L'église abbatiale fut consacrée en 1009 et, par une bulle de 1011, l'abbaye fut reconnue comme relevant du Saint-Siège. Le comte fit transférer des reliques de saint Gaudéric et fit édifier une chapelle pour les recevoir; il se retira ensuite à l'abbaye où il mourut en 1049.
L'abbaye incarne les premières expériences du premier art roman méridional, expérimentant des couvertures en pierre et l'emploi de piles cruciformes supportant des arcs doubleaux. Elle présente la rare disposition de deux églises superposées : une église supérieure dédiée à saint Martin et une église inférieure, en partie souterraine, consacrée à la Vierge. La composition intérieure comprend une nef centrale et deux bas-côtés voûtés en berceau, six travées modulaires alternant colonnes et piles cruciformes, et des chapiteaux décorés d'animaux et de feuillages; seul le grand chapiteau de marbre du maître-autel est sculpté en relief avec des scènes de la vie de saint Martin. La tour-porche carrée, accolée à la façade nord, abrite au rez-de-chaussée le passage d'entrée, comporte une chapelle dédiée à saint Michel et présente des baies cintrées et des décors de bandes lombardes caractéristiques du premier art roman méridional.
Les guerres du XIVe siècle et le séisme de 1428 portèrent un coup sévère à la prospérité et aux structures du monastère ; la tour fut reconstruite en 1433 d'après son modèle primitif, mais la reconstruction fut longue et financée difficilement. Placée ensuite sous commende, l'abbaye déclina ; peu avant la Révolution les moines demandèrent leur sécularisation (1779) puis quittèrent les lieux. Lors de la Révolution les bâtiments furent fermés, dépouillés et transformés en carrière, et nombreux éléments sculptés furent dispersés.
Le renouveau intervient au début du XXe siècle : Monseigneur de Carsalade du Pont entreprit, à partir de 1902, le rassemblement et la restauration des éléments sauvegardés, puis Dom Bernard de Chabannes acheva la restauration et rétablit la vie spirituelle entre 1952 et 1983. La communauté des Béatitudes assure depuis 1988 le service religieux et l’accueil des visiteurs. Le cloître, de plan quadrangulaire irrégulier et à deux niveaux construits à des époques différentes, a été en grande partie restauré au XXe siècle à partir d'éléments récupérés ; trois galeries anciennes subsistent et la galerie méridionale actuelle intègre des chapiteaux provenant d'ateliers et d'époques distincts, dont un groupe en marbre blanc ornés de lions et d'oiseaux (vers 1170) et des pièces en marbre rose-vert de Villefranche-de-Conflent datées du XIIIe siècle. L'ensemble, classé au titre des monuments historiques, demeure un témoignage majeur de l'architecture romane en Roussillon.
