Origine et histoire de l'Abbaye Saint-Mathieu de Fine-Terre
Les ruines de l'abbaye Saint‑Mathieu de Fine‑Terre se dressent sur la pointe Saint‑Mathieu, commune de Plougonvelin, dans le Finistère ; l'abbaye est classée au titre des monuments historiques depuis 1875. On l'appelle aussi abbaye Saint‑Mahé ; les textes indiquent qu'une communauté existait déjà en 555 et la tradition attribue la fondation au VIe siècle à saint Tanguy, qui aurait choisi ce promontoire « au bout du monde ». Une autre tradition, rapportée par Albert le Grand, raconte la translation des reliques de saint Mathieu jusqu'à la pointe, récit légendaire qui a fortement marqué le culte local. Les historiens relèvent toutefois l'absence de sources sûres sur la fondation et il paraît probable que saint Tanguy ait rassemblé un premier noyau monastique. Les vestiges visibles aujourd'hui correspondent au monastère bénédictin reconstruit aux XIe‑XIIe siècles : l'église abbatiale fut élevée entre 1157 et 1208 puis remaniée aux XIVe et XVe siècles. L'emploi de l'opus spicatum et la présence de solins témoignent d'étapes plus anciennes et suggèrent que la nef et le transept existaient dès le Xe siècle. Implantée sur une pointe dominant le chenal du Four, l'abbaye a longtemps contrôlé, avec les comtes de Léon, des droits maritimes et connut un important rayonnement économique à partir du milieu du XIIe siècle. Elle détenait de nombreux privilèges se traduisant par des droits de marché, de four, de mouture, de mesure des denrées, ainsi que le droit de bris et d'épave sur les rivages. Autour de l'abbaye s'était développée, jusqu'au XIVe siècle, une agglomération prospère dotée d'un port à activité internationale et d'une population importante. Le site fut cependant régulièrement exposé aux violences : raids maritimes et pillages frappèrent la ville et le monastère, et le reliquaire de saint Mathieu fut à plusieurs reprises emporté lors de ces incursions. Au XIVe siècle, on fortifia l'ensemble ; une charte ducale ordonna la démolition de maisons voisines pour permettre l'élévation d'ouvrages défensifs et, au début du XVe siècle, une citadelle avec une grande tour carrée fut édifiée. L'abbaye connut au fil des siècles occupations militaires, sièges et passages de garnisons qui contribuerent à son affaiblissement. À la fin du Moyen Âge elle fut placée en commende, situation qui favorisa parfois des abus de gestion et participa au déclin de ses ressources. Aux destructions et aux mises à sac, notamment en 1558, s'ajoutèrent des difficultés administratives et sanitaires qui réduisirent progressivement la population et la prospérité du site. Un renouveau intervint au XVIIe siècle grâce à l'abbé Louis de Fumée et à l'arrivée des bénédictins de la congrégation de Saint‑Maur, qui conduisirent des travaux de restauration, rassemblèrent des reliques et relancèrent les pèlerinages. Une tour à feu, aménagée sur une tour de l'abbaye et dotée d'une lanterne vitrée à la fin du XVIIe siècle, servit de balise pour la navigation avant d'être remplacée par des dispositifs modernisés ; le phare actuel, au pied des ruines, date du XIXe siècle. La Révolution entraîna la dispersion du mobilier, la vente des matériaux et l'abandon progressif du site ; déjà avant l'inventaire révolutionnaire peu de religieux y résidaient. D'importants travaux de mise en valeur ont été conduits depuis 1998 : le site a été dégagé des constructions parasites et les seules implantations modernes proches sont désormais des bâtiments de la Marine nationale et le phare du XIXe siècle. L'abbatiale présente un assemblage d'éléments de différentes époques : la façade ouest, d'inspiration romane et remaniée au XIIe siècle, s'ouvre par une porte à arcade trilobée encadrée de voussures et surmontée de trois fenêtres étroites ; le second niveau en retrait est rythmé par ces baies et par des contreforts plats. Les piliers et grandes arcades de la nef relèvent de la fin du XIIe ou du début du XIIIe siècle ; un bas‑côté sud supplémentaire date du XIVe siècle. Le transept sud et le mur nord conservent un appareillage en opus spicatum, tandis que le chœur et la croisée du transept, voûtés d'ogives et culminant à 18 mètres, appartiennent aux campagnes gothiques de la fin du Moyen Âge et révèlent une influence anglo‑normande, avec un chevet plat de deux travées dont les fenêtres latérales ont conservé leurs remplages. L'édifice comportait une chapelle axiale flanquée de deux chapelles latérales ; seule subsiste aujourd'hui la chapelle nord, les autres ayant été arasées notamment lors de la construction du phare. Le cloître a disparu ; à l'ouest de son ancien emplacement subsiste un mur percé d'anciennes fenêtres murées. À l'angle nord‑est, reliée au transept par des dépendances, s'élève l'ancienne tour à feu du XIIIe siècle, qui fut en partie arasée lors de l'édification du phare. À l'est, les vestiges du bâtiment mauriste du XVIIe siècle livrent au rez‑de‑chaussée quatre pièces identifiées comme la salle d'accueil, le réfectoire des moines, le cellier et le réfectoire des hôtes ; une cave à vin a été mise au jour lors de fouilles. Les murs des jardins, hauts de 4,60 mètres, subsistent en grande partie et bordent une esplanade repavée en moellons et galets qui mène à l'entrée ornée d'un blason sculpté. La même voie conduit à la chapelle Notre‑Dame‑de‑Grâce, relevée en 1881 ; en avant d'elle, un porche du XIVe siècle est le seul vestige conservé de l'ancienne église paroissiale Notre‑Dame‑du‑Bout‑du‑Monde. Les archives de l'abbaye mentionnent une première chapelle dédiée à Notre‑Dame‑du‑Bout‑du‑Monde, remplacée selon un document anonyme par l'église Notre‑Dame‑de‑Grâce au VIIe siècle, et des traces du cimetière paroissial ont été retrouvées lors de découvertes récentes. La succession des abbés réguliers puis des abbés commendataires est bien documentée et reflète l'histoire institutionnelle complexe de cet établissement.