Origine et histoire de l'Abbaye Saint-Ouen
L'ancienne abbaye Saint-Ouen de Rouen, située en Seine‑Maritime, n'a conservé que son église abbatiale, érigée sur le territoire de la commune de Rouen ; cet édifice, classé monument historique, est l'un des principaux exemples de l'architecture gothique en Normandie. Avant l'abbaye se dressait une basilique mérovingienne où Dadon, appelé plus tard saint Ouen, fut enseveli en 684, nom qui donnera plus tard sa renommée à l'abbaye bénédictine carolingienne. L'établissement prit d'abord le vocable des saints apôtres, puis, fondée en 750 sous le nom de saint Pierre, la première abbaye épiscopale fut ravagée par les Vikings le 14 mai 841 et deviendra par la suite une des plus puissantes abbayes bénédictines de Normandie. Après les raids vikings, Rollon autorisa le rétablissement de l'abbaye et c'est sous l'impulsion du duc Richard I er que Hildebert, considéré comme restaurateur et premier abbé véritable, fit entrer la communauté dans la règle bénédictine. Nicolas de Normandie entreprit, à partir de 1062, la reconstruction de l'abbatiale en style roman et fut inhumé dans l'édifice en 1095 ; il fit également rentrer de nombreuses reliques et restaura les bâtiments monastiques. Helgot poursuivit la construction, achevée par Guillaume Ballot ; l'abbatiale fut consacrée en octobre 1126 et les reliques, dont le corps de saint Ouen, y furent transférées peu après. L'abbaye subit plusieurs incendies et restaurations : elle fut en partie détruite en 1136 puis incendiée à nouveau en 1248 ; des fouilles de 1885 ont montré que les dimensions de l'abbatiale romane étaient comparables à celles de l'édifice gothique actuel, et subsiste de cette période la « tour aux Clercs », absidiole à deux niveaux. Les travaux de l'église gothique commencèrent en 1318 sous l'abbatiat de Jean Mardargent dit Roussel, mais ils furent ralenti par la guerre de Cent Ans ; le maître d'œuvre Alexandre de Berneval est mentionné sur une pierre tombale qui l'attribue à l'édifice et indique sa mort le 5 janvier 1440. La nef ne fut achevée qu'en 1537 et la façade occidentale n'a été réalisée qu'au XIX e siècle ; au XVIII e siècle les bénédictins de la congrégation de Saint‑Maur lancèrent une campagne de reconstruction des bâtiments conventuels, puis la communauté fut dispersée à la Révolution. Après la Révolution, le dortoir des moines accueillit l'hôtel de ville de Rouen à partir de 1800, le logis abbatial fut démoli en 1816, et l'église, rendue au culte, resta paroissiale jusqu'en 1963 ; aujourd'hui rattachée à la paroisse Saint‑Marc de Rouen Est, elle reçoit des cérémonies, concerts et expositions. Après les bombardements d'avril 1944, l'abbatiale servit de pro‑cathédrale du diocèse jusqu'à la réouverture de la cathédrale Notre‑Dame ; la messe à laquelle assista le maréchal Pétain lors de sa visite en Normandie le 14 mai 1944 s'y tint également. La façade occidentale actuelle, de style néogothique et conçue par Henri Grégoire entre 1845 et 1852 d'après la cathédrale de Cologne, a été réalisée en pierre calcaire des carrières de Saint‑Leu et de Saint‑Maximin : seules subsistent la rosace d'origine et les empreintes au sol des bases des tours du XVI e siècle détruites. Le portail comporte trois porches ornés de statues : le portail central, réalisé par Victor Vilain, montre le Christ et les apôtres, Matthias étant remplacé par saint Paul ; les portails latéraux et leurs retours présentent des séries de statues sculptées par Alphonse Jean et Bonet, représentant souverains, saints et abbés tels que Mathilde l'Emperesse, Clotaire I er, sainte Clotilde, Charles de Valois, saint Éloi, Dagobert, saint Philibert, sainte Austreberthe, saint Romain, saint Nicaise, saint Benoît, saint Ouen, Jean Roussel, Nicolas de Normandie, Hildebert et Antoine Bohier. Entre la rose et le pignon se lit encore une frise de statues comprenant saint Wandrille, Richard I er et II de Normandie, saint Filleul, saint Ansbert, Guillaume le Conquérant, saint Maurille, Henri II d'Angleterre, Geoffroi le Breton, Richard Cœur de Lion et saint Germer. L'entrée par le portail des Marmousets, qui ferme le bras sud du transept, révèle une voûte aux nervures retombant sur deux grandes clefs pendantes ; les pieds‑droits et le trumeau sont sculptés de quarante médaillons quadrilobés retraçant la vie de saint Ouen et surmontés d'une statue du saint ; le tympan est dédié à la Vierge Marie. L'abbatiale mesure 134 mètres de long et 33 mètres sous voûtes ; sa tour centrale, haute de 82 mètres, est couronnée sans former lanterne et abrite un beffroi en charpente supportant des cloches, dont l'une pèse quatre tonnes et a été fondue en 1701. La nef, typique du style flamboyant, se distingue par sa grande luminosité grâce à trois niveaux d'élévation — fenêtres basses, triforium ajouré et fenêtres hautes — et par les vastes baies ; la galerie nord du cloître, accolée à la nef, conserve un remarquable réseau flamboyant. Le chœur et le chevet pentagonal, entourés de onze chapelles visibles depuis le jardin de l'hôtel de ville, sont principalement de style rayonnant ; la tour aux Clercs, adossée au côté nord, est le vestige roman de l'abbatiale précédente. Le chœur est fermé par des grilles forgées par Nicolas Flambart vers 1740‑1749 et conserve, au‑dessus des grandes arcades sous le triforium, des peintures murales du XIV e siècle ; le maître‑autel en laiton doré fut réalisé par l'architecte Sauvageot et exécuté par l'atelier Poussielgue‑Rusand en 1885. La salle des Marmousets, située au‑dessus du portail, a sans doute servi à diverses fonctions monastiques, documentaires ou bibliothécaires ; au XIX e siècle elle fut utilisée comme bibliothèque, ce que témoignent des traces de polychromie et des clous, et sa voûte repose sur des culots sculptés de scènes sacrées et profanes. Les verrières forment un ensemble cohérent et homogène, principalement des XIV e et XV e siècles avec des interventions au XIX e siècle : on compte 1 523 m2 de vitraux répartis sur 80 verrières, toutes garnies de verres. Les fenêtres hautes de la nef présentent des figures isolées en pied — patriarches, prophètes et sibylles au nord, saints, prélats et apôtres au sud — adaptées à la hauteur des baies, tandis que les verrières des bas‑côtés, ouvertes directement sur ces derniers en raison du plan abbatial, figurent des scènes religieuses sous des décors architecturés d'une grande finesse. Les roses offrent des programmes distincts : celle du bras sud, grande de 8,50 m et représentant un arbre de Jessé, a été réalisée entre 1467 et 1483 ; celle du bras nord, dite de la « Hiérarchie », est l'œuvre de Colin de Berneval ; la rose de façade est un vitrail moderne abstrait aux teintes bleues. Le vitrail axial du chœur comprend une Crucifixion moderne de Max Ingrand et les chapelles rayonnantes conservent la plus importante collection de vitraux du XIV e siècle en France, illustrant notamment la vie des saints honorés dans l'abbaye. L'orgue actuel, un Cavaillé‑Coll de 1890, reconstruit à partir d'un instrument de Crespin Carlier de 1630 dans le buffet d'origine, possède quatre claviers et 64 jeux ; il a inspiré à Charles‑Marie Widor sa Symphonie gothique n° 9 qu'il lui a dédiée, et Albert Dupré en fut titulaire en 1911. L'ancien jardin de l'abbaye, devenu le jardin de l'Hôtel‑de‑Ville, accueille, près du portail des Marmousets, une copie de la grosse pierre de Jelling offerte par le Danemark en 1911, une statue de Rollon par Arsène Letellier, un buste d'Émile Verhaeren par Henri Lagriffoul (1948), un bassin orné d'une sculpture d'Alexandre Schoenewerk évoquant l'enlèvement de Déjanire par Nessus, et une méridienne de Paul‑Ambroise Slodtz (1753). L'église Saint‑Ouen est inscrite au titre des monuments historiques depuis la liste de 1840 et la Chambre des Clercs l'est depuis la liste de 1862. L'abbaye a possédé de nombreuses dépendances et prieurés, parmi lesquels Saint‑Michel, Gasny, l'abbaye Saint‑Martin‑et‑Saint‑Vulgain, Saint‑Gilles près d'Elbeuf, Saint‑Pierre de Launay (Eure), Montaure, Beaumont‑en‑Auge, Condé à Soissons, Val‑aux‑Moines et des établissements en Angleterre tels que Mezeray, vendu en 1420 à l'archevêque de Cantorbéry ; une dépendance notable fut le manoir Saint‑Ouen à Rots. La liste des abbés, connue depuis Hildebert vers 960 jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, comprend de nombreux noms célèbres, parmi lesquels Nicolas de Normandie, Helgot, Guillaume Ballot, Jean Roussel, Jean IV Richard, Guillaume IV d'Estouteville, Antoine Bohier, Pantaléon Cibo et Charles de Bourbon.