Origine et histoire de l'Abbaye St-Jean des Vignes
L'abbaye Saint-Jean-des-Vignes est une ancienne abbaye de chanoines réguliers fondée en 1076 par Hugues le Blanc sur la colline Saint-Jean, au sud‑ouest de Soissons (Aisne), de style gothique. Les clochers et les cloîtres datent des XIIIe et XIVe siècles. Hugues restitua cinq paroisses — Charly, Montlevon, Saint‑Aignan, Le Grand Rozoi et Arthaise — ainsi que deux moulins, et Philippe Ier confirma la fondation par lettres patentes en 1076 ; Gui Ier de Châtillon confirma aussi une donation la même année. Douze ans plus tard Hugues acheta trente arpents de vignes et fit d'autres donations en vignes et terres dans la paroisse de Charly ; cette seconde fondation fut confirmée par l'évêque Henri et par le fils d'Hugues, et le monastère prit alors le nom de Saint‑Jean‑des‑Vignes. Une communauté de chanoines johannistes suivant la règle de saint Augustin s'installa à l'abbaye, qui devint la maison mère de l'ordre. Le pape fixa le nombre de chanoines à 90 ; y vivaient aussi environ trente frères convers et, au début, quelques sœurs couturières. Les moines pratiquaient des soins médicaux à base de plantes, ce qui se reflète dans l'abondante décoration florale de l'abbaye, la plus vaste de Soissons, ville qui en comptait sept. À son apogée vers 1520, l'ensemble monastique formait un vaste domaine entouré d'enceintes et d'un fossé ; environ 150 moines en dépendaient et l'abbaye exploitait une trentaine de fermes et possédait une quarantaine de paroisses. Les chanoines exerçaient aussi des fonctions paroissiales ; l'habit des pères était blanc, celui des frères convers noir et violet. Les bâtiments visibles aujourd'hui datent principalement de la fin du XIIIe siècle, période qui vit l'élévation du cellier, des portails, du réfectoire et des cuisines ; la nef fut achevée au XIVe siècle tandis que les tours furent montées ultérieurement. Au Moyen Âge des dons royaux et seigneuriaux, dont ceux du cardinal Jean de Dormans, affluèrent, et des bienfaiteurs plus modestes léguèrent argent, terres ou maisons. Trois donations particulières servirent à l'instruction des novices : Raoul de Presles institua des bourses perpétuelles à Paris, Aubert de Bignicourt fonda le collège Sainte‑Catherine de Soissons en confiant sa direction aux moines, et Jean de Dormans donna la direction de Dormans‑Beauvais. La guerre de Cent Ans entraîna la construction de remparts vers 1375, et en 1414 le quartier général de Charles VI et des Armagnacs s'installa dans l'enceinte durant le siège et le pillage de la ville. Après les troubles on acheva la construction des tours lors de deux grandes campagnes, la grande tour et la petite tour étant terminées aux alentours de 1488–1495 et 1516–1520 respectivement. L'abbatiale, consacrée en 1478 par Jean Milet, était dédiée à la Vierge, à saint Jean‑Baptiste et à saint Jean l'Évangéliste. En 1544 la grande salle reçut Charles Quint du 13 au 16 septembre pour la préparation du traité de Crépy ; par la suite les ingénieurs d'Henri II proposèrent de raser le monastère pour des raisons stratégiques, mais l'abbaye fut finalement intégrée à l'enceinte de la ville, ce qui contraignit à réduire ses clos de vignes. À partir de 1566 les abbés furent souvent nommés commendataires par le roi et devinrent fréquemment absents, la direction religieuse relevant alors du prieur claustral. En 1567 les huguenots commandés par le prince de Condé s'emparèrent de Soissons : l'abbaye fut saccagée, l'église transformée en écurie, l'argenterie et les cloches fondues, la tuyauterie brisée, l'autel renversé, le clocher du réfectoire détruit et les archives presque entièrement perdues, les dégâts étant estimés à plus de 100 000 livres. À la Révolution les 72 moines furent chassés, le mobilier vendu et l'argenterie fondue et envoyée à la Monnaie de Paris ; le dernier grand prieur fut massacré en 1792 à Saint‑Firmin à Paris et l'abbaye fut transformée en manutention militaire avec l'installation de boulangeries. Les bâtiments, bien qu'épargnés de destructions massives grâce à leur usage militaire, se dégradèrent par manque d'entretien ; des vitraux se brisèrent, provoquant un incident lié à des morceaux de verre dans le pain, et il fallut ensuite des travaux de rénovation dont le coût fut estimé à 26 786 livres. Malgré des projets de démolition et la vente de matériaux, les tours furent préservées : l'église fut cédée en 1809 à un maçon et à un charpentier, des pierres furent réemployées pour des maisons à Soissons et la démolition s'arrêta après une vingtaine d'années, mais la nef disparut. Les restes ont nécessité des consolidations, notamment de la flèche, réalisées par des ferrements et des chaînages. Les vestiges appartiennent aujourd'hui à la Ville de Soissons et sont accessibles librement en saison ; la municipalité a engagé, avec le soutien des Monuments historiques, des collectivités et du mécénat, une opération de sauvegarde des deux tours, commencée en 2016 par la purge de la végétation et des éléments dangereux et prévue pour durer une dizaine d'années. Les clochers, les cloîtres, les vestiges des bâtiments et certains logis et terrains font l'objet de protections au titre des monuments historiques, distinguées par des classements et inscriptions effectués entre 1875 et 1947. Les armes de l'abbaye se blasonnent d'azur semé de fleurs de lys d'or, à un chevron de gueules chargé de six ou cinq roses d'argent, surmonté en chef d'un lambel de cinq pendants du même. Parmi les abbés réguliers, Raoul est attesté en 1214.