Origine et histoire de l'Atelier de potiers du Chatigny
L'atelier de potiers du Chatigny, situé à Luxeuil-les-Bains (Haute-Saône), est un ensemble artisanal gallo-romain actif aux Ier et IIe siècles. Il comporte neuf fours conservés dans un excellent état, dont la diversité de formes — circulaires, quadrangulaires et ovoïdes — et la singularité de l'un d'eux ont motivé la protection du site de l'antique Luxovium. Le site se trouve dans la civitas des Séquanes, au carrefour de routes antiques contournant le massif des Vosges, et s'est développé près de sources thermales qui ont favorisé l'implantation d'un sanctuaire puis d'une cité artisanale. Les ateliers de potiers étaient installés à l'est de la cité, à l'écart en raison des nuisances, sur un versant dominant les sources et le vallon du Breuchin, à proximité de ruisseaux et de forêts propices à l'approvisionnement en argile et en bois. L'antiquité du site thermal est attestée dès le XVIIIe siècle et des fragments de moules découverts dès 1881 témoignent d'une fabrication locale de sigillée. Une étude publiée en 1960 par Lucien Lerat et Yves Jeannin a analysé ces moules et de nombreux fragments de poterie provenant de Luxeuil et de Mandeure. Des fouilles de sauvetage menées de 1978 à 1988 ont mis au jour un groupe de huit fours sur le lieu-dit du Chatigny, et plus de vingt fragments de moules ainsi que de nombreux tessons ont été recueillis en 1982-1983. Le groupe de fours a été classé aux monuments historiques en 1988 et les campagnes ont repris en 1991 pour la construction d'un bâtiment de présentation ; en 1993 des sondages ont localisé quatre autres fours à une centaine de mètres, près du cimetière. Les terrains situés entre ces deux ensembles avaient toutefois été remaniés par des travaux de voirie en 1950, qui ont détruit les niveaux archéologiques susceptibles d'abriter d'autres vestiges d'ateliers. L'atelier subsistant se répartit en deux ensembles : un groupe de huit fours organisés autour d'une aire de chauffe commune et un neuvième à proximité, l'autre groupe comprenant quatre fours se trouvant à une centaine de mètres. Les installations annexes au travail du potier — bassins de décantation, bâtiments de stockage, atelier de façonnage ou habitat — n'ont pas été retrouvées et ont disparu lors des travaux de 1950. Les fours sont implantés directement sur le substrat de grès affleurant ; seuls deux blocs cubiques de grès superposés et une portion de mur suggèrent l'existence d'un bâtiment abritant l'aire de chauffe. L'aire de chauffe est creusée dans le sol sur 1,5 mètre de profondeur, bordée de murs en moellons de grès, mesure 4,5 × 3,3 mètres et desservait huit fours simultanément ou successivement ; elle était accessible par un escalier de quatre marches et aucun système de drainage n'a été identifié. Les fours A et B, de type circulaire à tubulure, sont placés de part et d'autre de l'aire de chauffe ; le four B est le mieux conservé avec la base de l'entrée de l'alandier, les deux tiers de la voûte et une sole intacte composée de plaques de grès recouvertes d'une couche d'argile cuite d'1 à 2 centimètres, percée de quatorze trous. La chambre de cuisson du four B mesure 3 mètres de diamètre et conserve un mur en petits moellons de grès haut de 30 à 35 centimètres ; des tubulures verticales doublant la paroi interne étaient reliées à leur base par une gouttière de 10 cm ceinturant la sole pour alimenter en air chaud la chambre de cuisson, dispositif comparable à un four découvert à Lezoux destiné à la cuisson de la céramique sigillée. Les autres fours, également en grès, présentent une conception plus simple, rectangulaire ou circulaire à tirage direct ; les fours K, J et H, d'environ 2 mètres de diamètre, se sont succédé dans l'angle sud-est de l'aire de chauffe. La connaissance de la production repose sur l'analyse de près de cinquante mille tessons recueillis dans les fours transformés en dépotoir, qui correspondent aux rebuts de cuisson et à des produits rejetés, pour un minimum d'environ mille objets. L'inventaire distingue quatre catégories de production, par ordre de volume croissant : la terra nigra, marginale ; la céramique sigillée, minoritaire mais notable ; la céramique à paroi fine et la céramique commune, très abondantes. La terra nigra provient d'un des fours du cimetière où ont été retrouvés les fragments de deux moules et se traduit par deux types de plats et deux types de jattes. Les céramiques à paroi fine sont essentiellement des gobelets — vingt mille tessons — et quelques assiettes — environ quatre cents fragments ; les gobelets, ovoïdes ou piriformes, portent des rainures décoratives et mesurent de 12 à 16 cm de hauteur, tandis que les assiettes vont de 15 à 23 cm de diamètre, la plupart entre 17 et 20 cm. La céramique commune, en pâte beige à beige rosé et voisine des pâtes fines, totalise environ 22 000 tessons ; bien des fragments sont trop petits pour être rattachés à une forme, mais parmi les formes identifiées dominent les assiettes et les mortiers (près de la moitié), suivis de grandes cruches à panse globulaire et une à trois anses, de jattes, de pots à panse ronde ou ovoïde, de couvercles et de bouilloires. Deux phases de production ont été identifiées par Lerat et Jeannin : la première associe plusieurs potiers et comprend de la sigillée rouge courante et de la sigillée à vernis métallique du noir au brun violet pour des types Drag. 64 à 68 ; la seconde ne comporte que de la sigillée rouge de type Drag. 37 et pourrait correspondre au dernier tiers du IIe siècle. Le début d'activité est déduit du comblement d'un premier four avec des débris en terra nigra semblables aux productions champenoises et bourguignonnes de la seconde moitié du Ier siècle, et une analyse archéomagnétique réalisée par M. Headley (Université de Genève) sur des échantillons des fours H et F situe la fin d'utilisation vers 150 avec une marge de ±50 ans. La période de production s'étendrait ainsi sur environ un siècle et demi, faisant de Chatigny, au début du XXIe siècle, l'un des rares ateliers connus en Franche-Comté présentant une telle variété sur un intervalle aussi long. Selon Lerat, la cité d'Epomanduodurum (Mandeure) apparaît comme le principal consommateur de la sigillée du Chatigny ; l'aire de diffusion reste essentiellement régionale, malgré la découverte de quelques tessons à Saint-Ulrich (Haut-Rhin), dans la vallée du Rhin et en Ardèche. La municipalité de Luxeuil-les-Bains a demandé le classement du site en 1984 ; il a été inscrit à l'inventaire des monuments historiques par décret du 1er septembre 1988 en raison de la variété des structures et de leur bon état de conservation. Un bâtiment de protection a été édifié en 1994, mais l'accès a rapidement été fermé ; le nettoyage des fours a été réalisé en 2009 par des archéologues et des services municipaux, et des galeries suspendues avec panneaux didactiques conçus par Philippe Kahn et l'Office de Tourisme permettent aujourd'hui d'observer les fours. Les objets découverts sur le site sont exposés au Musée de la Tour des Echevins à Luxeuil-les-Bains.