Origine et histoire du Briquetage de la Seille
Le briquetage de la Seille est un vaste site archéologique de l'âge du Fer, formé d'immenses accumulations de terre cuite liées à l'exploitation des sources salées de la vallée de la Seille, dans le sud de la Moselle. Le terme "briquetage", introduit au XVIIIe siècle par l'ingénieur Artézé de la Sauvagère, désigne les restes de récipients et d'appareillages en terre cuite issus de la production de sel par chauffage de la saumure. La technique consistait à filtrer et concentrer la saumure dans des bassins, puis à chauffer la saumure saturée dans des fourneaux équipés de bassines en terre cuite ; le sel cristallisé était moulé dans des pains de sel à l'aide de moules en terre cuite, brisés sur place pour en extraire les pains destinés à l'exportation. L'extraction ignigène du sel se développe dès le premier âge du Fer, au VIe s. av. J.-C., puis atteint un stade "proto-industriel" au second âge du Fer (IIe-Ier s. av. J.-C.), avant d'être abandonnée au début de l'époque romaine au profit de la technique des poêles à sel. Les sources salées de la vallée sont alimentées par la dissolution d'une couche de sel gemme du Trias supérieur située localement à moins d'une centaine de mètres de profondeur. L'exploitation des résurgences salées commence vraisemblablement au Néolithique final, des indices de l'âge du Bronze suggèrent aussi une activité d'extraction, bien que ses traces archéologiques n'aient pas été identifiées. La phase ancienne du briquetage apparaît simultanément sur les sites de la vallée dans la seconde moitié du VIe s. av. J.-C.; des zones d'ateliers dispersées de 1 à 5 hectares, de Salonnes à Marsal, sont ensuite abandonnées à la fin du VIe ou au début du Ve s. av. J.-C. Une phase récente, datée des IIe-Ier s. av. J.-C., voit la concentration des ateliers sur trois centres de production majeurs — Vic-sur-Seille, Moyenvic et Marsal — où la production atteint un niveau proto-industriel se poursuivant jusque dans les premières décennies du Ier s. de notre ère. La technique de cuisson de la saumure en bassines de terre cuite est ensuite remplacée par les poêles à sel, puis par des plaques de chauffe en plomb, puis en fer. Les accumulations de briquetage s'étendent sur près de 11 kilomètres et se répartissent en sept pôles principaux, dont l'écart de Burthecourt (Salonnes) où les dépôts atteignent 7,55 m d'épaisseur sur environ 5 hectares. Le village de Salonnes repose sur deux accumulations d'environ 5 m d'épaisseur, tandis que les extensions de briquetage y restent imprécises. À Vic-sur-Seille, les accumulations sont recouvertes par des stratigraphies urbaines et semblent liées principalement à la phase récente. L'éminence du "Châtry", entre Vic et Moyenvic, présente un dépôt d'environ 400 m de diamètre et 4,50 m d'épaisseur, avec un secteur d'atelier récent détecté sur plus de 7 hectares. À Moyenvic, les accumulations atteignent environ 11 m d'épaisseur et associent des rejets de la phase récente ; un vaste secteur ancien a été repéré à l'est et au sud-est sur près de 25 hectares. La plaine alluviale de Marsal comprend une série d'ateliers s'étendant sur 1,5 km avec des superficies de 1 à 8 hectares et des épaisseurs de 2 à 4 m concentrées surtout sur la phase ancienne, tandis que le bourg de Marsal présente des dépôts d'environ 7,50 m mêlant phases ancienne et récente. Le briquetage de la Seille figure parmi les plus importants sites de production de sel de l'Europe ancienne ; seul le briquetage de Marsal est classé au titre des monuments historiques (Journal officiel du 16 février 1930). Les premières reconnaissances au XVIIIe siècle par Félix Le Royer de La Sauvagère lors des travaux de fortification de Marsal ont mis en évidence ces dépôts, alors attribués aux Romains. Des fouilles allemandes menées en 1901 par Johann Baptist Keune à Burthecourt ont mis en lumière une accumulation de plus de 7 m et permis de dater l'atelier du premier âge du Fer, officialisant l'usage scientifique du terme "briquetage". Entre 1969 et 1976, Jean‑Paul Bertaux a conduit des sondages qui ont permis d'élaborer une première typologie des récipients en terre cuite et d'identifier les premiers fourneaux en 1976 dans la zone du "Pransieu" à Marsal. De 2001 à 2017, un programme pluridisciplinaire dirigé par le musée d'Archéologie nationale sous la direction de Laurent Olivier a mobilisé une vingtaine de laboratoires et d'universités, renouvelant les connaissances sur l'exploitation celtique et gauloise du sel. Des prospections géophysiques aériennes réalisées en 2001 avec le BRGM et le BGR de Hanovre ont couvert environ 70 km², complétées par des prospections géomagnétiques au sol conduites par le groupe PZP, qui ont étudié plus d'une centaine d'hectares jusqu'en 2017. Des carottages géo‑archéologiques confiés au groupe ArchaeoScape de l'université de Londres ont reconstitué l'histoire environnementale de la vallée depuis le début de l'Holocène jusqu'à l'époque contemporaine. Les fouilles de l'atelier celtique de "La Digue" à Marsal (à partir de 2007) ont restitué la chaîne opératoire : décantation et concentration de la saumure dans des bassins étanches, stockage dans de petits réservoirs puis alimentation des fourneaux. Les recherches engagées à partir de 2014 sur le site du "Pransieu" ont mis en évidence une production "en batterie" permettant de chauffer simultanément plusieurs fourneaux alimentés en continu, appuyée par des réservoirs périphériques. Un vaste secteur funéraire voisin des ateliers de Marsal a été occupé tout au long des âges du Fer ; entre la fin du VIe et le début du Ve s. av. J.-C. s'y trouvent des sépultures de haut rang, et des groupes funéraires privilégiés sont documentés notamment au IVe s. av. J.-C. autour de Marsal et Moyenvic. Techniquement, la phase ancienne utilise de grandes bassines cylindriques d'une trentaine de litres placées dans des fourneaux à chambre de chauffe ; apparaissent ensuite des moules jetables dits "barquettes", puis des godets tronconiques, toujours en pâte très poreuse chargée de débris végétaux. Lors de la phase récente, les formes évoluent vers des "flûtes" élancées à usage unique, et la réduction de la taille des barres de support suggère une miniaturisation des fourneaux. Les recherches geo‑archéologiques montrent que le milieu marécageux de la haute vallée de la Seille est en partie d'origine anthropique : le rejet des déchets de briquetage dans les chenaux, combiné au déboisement pour le combustible, a accéléré l'envasement et provoqué un comblement d'environ deux mètres en moins d'un millénaire. Les fouilles de "La Digue" indiquent que les étapes de traitement préalable de la saumure étaient essentiellement effectuées par des femmes, dont la présence est marquée par la perte d'objets de parure associés à des tombes de rang élevé, tandis que la période gauloise a livré des individus de statut dépendant présentant traumatismes et déformations liés au port de charges. À plus long terme, le comblement de la vallée a ralenti l'écoulement de la Seille, favorisé la généralisation des marais utilisés comme défense aux XVIIe‑XVIIIe siècles, affecté la santé humaine et animale par fièvres et épizooties, et entraîné des affections locales comme goitres et crétinisme observées au XIXe siècle avant le drainage et la canalisation achevés à la fin du XIXe siècle.