Origine et histoire du Camp de Beugy
Le camp de Beugy, appelé aussi camp des Anglais, est un camp retranché situé à environ 800 m au nord de Sainte‑Suzanne (Mayenne). Il a servi de base aux troupes de Guillaume le Conquérant de 1083 à 1086 lors du siège de la cité tenue par le vicomte Hubert II de Beaumont. Les historiens attribuent sa réalisation à Guillaume ; il constitue un exemple d'architecture militaire en remparts de terre et de pierres. Inscrit à l'inventaire des Monuments historiques le 28 juillet 1937, le site a reçu le 4 mai 2011 le label « Architecture de terre remarquable en Europe » décerné par l'ICOMOS dans le cadre du projet Terra [in]cognita. Remarquablement conservé, le camp couvre près de 2,5 hectares et se situe entre la route départementale 143 et la voie communale 201, dominant des prairies proches de la rivière Erve. Il est composé de deux ensembles rectangulaires orientés est‑ouest, séparés par un fossé et entourés de douves dont seul le fond pouvait être en eau, et présente une configuration en fer à cheval. Les élévations de terre, renforcées de pierres issues du décaissement des fossés, ont été érodées de deux à trois mètres. La présence de palissades n'a pas été démontrée et une barre rocheuse préservée dans le fossé évoque le franchissement entre les deux structures. L'ensemble, fossés extérieurs compris, mesure environ 230 m sur 110 m ; l'enceinte ouest fait 95 m sur 85 m tandis que l'enceinte est, plus vaste, atteint approximativement 110 m sur 100 m. Les cours intérieures, plates, mesurent environ 70 m x 45 m pour le « petit camp » et 90 m x 55 m pour le « grand camp ». Le flanc sud, face à Sainte‑Suzanne, dominait la cité mais restait hors de portée des armes de l'époque. L'enceinte occidentale est partiellement effacée côté sud sur plus de 40 mètres, remplacée par des bâtiments agricoles attestés sur le cadastre du XIXe siècle et encore utilisés jusqu'en 1981. Le camp illustre la tactique de siège employée par Guillaume : lorsqu'il ne pouvait prendre une ville à l'assaut, il élevait des retranchements, y plaçait une garnison et attendait que la famine contraignît les assiégés à se rendre. De 1083 à 1086, le camp de Beugy servit ainsi de base aux opérations contre Sainte‑Suzanne, où Hubert II résista. Orderic Vital rapporte que Guillaume y plaça une forte garnison commandée par Alain le Roux, mais que la forteresse resta approvisionnée grâce à un souterrain menant au Grand‑moulin et à un puits au pied du donjon. Des chevaliers venus d'autres provinces vinrent renforcer les défenseurs, et le château put prolonger sa résistance en tirant profit des rançons obtenues sur des captifs normands. Les assaillants subirent des pertes notables : Orderic Vital signale la mort de plusieurs chevaliers normands et relate l'incident du 18 novembre 1085 où Richer de l'Aigle fut tué par une flèche. Un assaut tenté en janvier 1086 pour venger cette mort échoua et certains chefs normands furent faits prisonniers ou blessés. Ne parvenant ni à prendre Sainte‑Suzanne ni à faire plier son défenseur, Guillaume engagea des négociations ; Hubert II accepta les pourparlers et, selon Orderic Vital, Guillaume lui rendit honorablement les domaines de ses pères et conclut une entente avec lui. Le siège prit fin et Sainte‑Suzanne conserva la réputation d'un château que Guillaume le Conquérant n'avait pu prendre. Le camp de Beugy reste aujourd'hui lisible dans le paysage : les bastions d'angle dominent d'environ dix mètres les fossés extérieurs et la dépression entre les deux enceintes marque l'ancien passage. Hormis la ferme de La Motte, aucune construction n'a été édifiée sur ces terrains, qui ont conservé une vocation agricole, ce qui a contribué à la sauvegarde de la forme générale. La commune de Sainte‑Suzanne a acquis le site en 1989 afin de le protéger, de le mettre en valeur et de l'ouvrir au public ; le camp est accessible aux promeneurs en toute saison, avec un parking à proximité. Une légende locale, mise en chanson par le folkloriste Amand Dagnet et plus tard mise en musique par Jean Deré, évoque une « mule blanche » du Grand‑moulin qui aurait approvisionné la cité par un souterrain pendant le siège. Le nom du camp a donné lieu à une voie actuelle de la commune, la rue du camp des Anglais.