Origine et histoire de la Cathédrale Saint-Just-et-Saint-Pasteur
La cathédrale Saint-Just-et-Saint-Pasteur de Narbonne, située dans l'Aude, est le monument le plus prestigieux de la ville et a le statut de cocathédrale du diocèse de Carcassonne et Narbonne. Caractéristique du gothique méridional, elle succède à une succession de lieux de culte établis sur le même site depuis l'Antiquité et présente la particularité d'être inachevée : seul le chœur a été réalisé. Avec 41 mètres sous voûte, son vaisseau central figure parmi les plus hauts de France, derrière Beauvais (48 m), Amiens et Metz (42 m). L'édifice est classé au titre des monuments historiques depuis la liste de 1840 ; le cloître et des sites archéologiques attenants font également l'objet de protections depuis 1914 et 1937.
Le site a connu une basilique constantinienne édifiée peu après l'édit de 313, détruite par un incendie en 441, puis une basilique latine achevée le 29 novembre 445 par l'évêque Rustique. Une peinture d'inspiration orientale représentant un Christ imberbe, de tradition hellénistique, semble avoir existé dans l'église primitive avant de disparaître au VIe siècle, épisode évoqué par Grégoire de Tours. Des vestiges musulmans retrouvés dans l'atrium suggèrent l'implantation d'une mosquée durant la présence sarrasine entre 719 et 759. Vers 782, l'église est consacrée aux jeunes martyrs Just et Pasteur ; des éléments réemployés, comme deux colonnes romaines et un linteau dédicacé, témoignent des différentes étapes de réoccupation du lieu.
Une cathédrale préromane carolingienne fut élevée en 890 par l'archevêque Théodard ; son clocher, dit clocher de Théodard, subsiste en partie. La construction de la cathédrale gothique actuelle fut décidée pour des raisons politiques par le pape Clément IV et la première pierre fut posée par l'archevêque Maurin le 13 avril 1272 ; le chœur fut achevé en 1332. L'édifice adopte un plan proche de celui des cathédrales de Clermont et Limoges ; Jean Deschamps est parfois proposé comme architecte, mais cette attribution fait débat. Les phases de chantier ont mobilisé plusieurs maîtres d'œuvre successifs : Dominique de Fauran, puis son fils Jacques, Raymond Aicard, Pierre Daniel de Carcassonne et Louis Richecler, qui travaillèrent au chevet, aux tours et au transept ; les tours furent partiellement détruites par un incendie en 1405 puis restaurées.
Narbonne possédait un siège épiscopal dès le début du IIIe siècle ; élevé au rang d'archevêché à la demande de Charlemagne, il donna au XIIIe et au XIVe siècle des archevêques devenus papes sous les noms de Clément IV et Clément VII, et subsista jusqu'à sa suppression au concordat de 1801 ; la ville a été rattachée au diocèse de Carcassonne en 2006.
La cathédrale devait adopter la forme d'une croix latine, mais seul le chœur est terminé et le transept et la nef sont à peine amorcés. Plusieurs causes expliquent cet inachèvement : des ressources financières insuffisantes, l'hostilité déterminante des consuls de la ville, la reprise de la guerre de Cent Ans avec le siège de 1355 et les calamités du XIVe siècle (peste, chevauchées) ayant entraîné priorités défensives et réparations des murailles. Le projet butait sur la nécessité d'ouvrir une brèche dans l'ancien rempart, propriété que revendiquaient les consuls, ce qui provoqua un long conflit juridique. Une étude publiée en 1925 par l'abbé Sigal retrace en détail la lutte entre le chapitre et le consulat, commencée en 1345 et aboutissant à un accord en 1361 autorisant la construction du cloître mais laissant la cathédrale inachevée.
L'architecture de Narbonne résulte aussi d'un compromis entre modèles du Nord et goûts méridionaux, selon l'analyse de Viviane Paul : le modèle nordique y apparaît « déguisé » par des adaptations locales. Au fil des siècles, plusieurs tentatives de finalisation furent entreprises : au début du XVIe siècle l'archevêque Guillaume Briçonnet fit abattre des sections de murailles pour dégager l'emplacement, au XVIIIe siècle l'archevêque Charles Le Goux de La Berchère fit élever des chapelles extérieures dans un gothique teinté d'esthétique classique autour de la cour Saint-Eutrope, et en 1840 Viollet-le-Duc projeta un porche fortifié avant d'interrompre son intervention.
Le chœur, réalisation majeure du XIIIe-XIVe siècle, est imposant : environ 40 mètres de largeur, 60 mètres de longueur et 15,20 mètres pour le vaisseau central ; les voûtes culminent à 41 mètres. À l'extérieur se remarquent de vastes terrasses sur l'abside, une galerie fortifiée reliant les culées, des arcs-boutants à deux étages et à double volée, ainsi que l'appareil régulier des assises et la perfection des voûtes, qualités qui font de la cathédrale une œuvre savante du début du XIVe siècle.
Le cloître, bâti entre 1349 et 1417 sur l'emprise de la cathédrale carolingienne, est adossé à l'enceinte du Ve siècle et relié au palais archiépiscopal ; ses quatre galeries homogènes, encadrées par de grandes arcades prévues pour recevoir remplages et meneaux, sont partiellement couronnées d'une balustrade quadrilobée et soutenues par des contre-forts ornés de gargouilles et de pinacles flamboyants. La cour Saint-Eutrope, qui prolonge le chœur et correspond à l'amorce du transept, est limitée à l'ouest par le début de la nef ; la réalisation prévue d'une nef de cinq chapelles pentagonales de chaque côté n'a été que partiellement menée, et l'ensemble achevé aurait atteint environ 120 mètres de longueur.
À l'intérieur, les cinq chapelles absidales, toutes de même dimension et de forme polygonale, complètent le chevet. La chapelle Saint-Martin conserve des reliques et un retable dont le panneau central est une copie par Carle van Loo de La Résurrection de Lazare, entourée de statues de saint Augustin et de saint Ambroise ; la tombe d'Arthur Richard Dillon y repose depuis 2007. La chapelle Notre-Dame-de-Bethléem abrite un retable en pierre polychrome du XIIIe siècle, découvert en 1847 et restauré à partir de 1954 puis entièrement mis au jour après 1981 ; elle contient aussi une Vierge à l'Enfant en albâtre de 1,80 m attribuée au Maître de Rieux et classée. La chapelle du Sacré-Cœur conserve dans ses fondations la « Première Pierre » envoyée par le pape Clément IV en 1272. La chapelle Saint-Michel présente un tableau d'Antoine Rivalz, La chute des anges rebelles, et donne par un escalier en colimaçon accès à la salle du trésor située au-dessus de la chapelle de l'Annonciade.
Le trésor de la cathédrale rassemble des pièces classées : une Vierge à l'Enfant en marbre du XVe siècle, un Saint-Sébastien en bois polychrome de la limite XVIe–XVIIe siècle, une pyxide en ivoire au nom d'Ismail réalisée à Cuenca par Muhammad ibn Zayyan entre 1026 et 1031 et réemployée pour la conservation des hosties, une plaque d'ivoire carolingienne dite la Croix glorieuse, et une châsse reliquaire de saint Prudent ornée de cristal, d'argent repoussé, d'ivoire peint et d'intailles.
La chapelle de l'Annonciade conserve plusieurs tableaux classés, dont La Déposition de la Croix de Pierre Lavergne, Tobie et l'ange Raphaël et un Joseph prosterné devant son frère attribués à Nicolas Tournier, ainsi qu'une Multiplication des pains datée de 1556. Parmi les chapelles latérales, la première à gauche abrite les fonts baptismaux, la chapelle Saint-Joseph présente un retable par Maurin et le monument funéraire de Jean Seigneuret de la Borde, et la chapelle Notre-Dame-de-la-Salette conserve un autel en marbre du XVIIe siècle provenant des Pénitents Bleus. La première chapelle latérale droite, dédiée à saint Étienne, contient une Mise au tombeau en terre cuite polychrome du début du XVIe siècle et un tableau de Jacques Gamelin représentant la Lapidation de saint Étienne (1788).
Le maître-autel du chœur, œuvre éclairée par des interventions successives (désigné vers 1694–1695, refait en 1752 et enrichi par Viollet-le-Duc en 1841), est classé au titre des monuments historiques ; un coffret contenant les chairs du roi Philippe III, autrefois inhumé dans l'allée centrale, a disparu à la Révolution.
Le grand orgue, dont le buffet du XVIIIe siècle est considéré comme l'un des plus remarquables de France, mesure environ 21 mètres de haut et 13 mètres de large ; construit par Christophe Moucherel et achevé en 1742, il compte 53 jeux répartis sur trois claviers et un pédalier et a fait l'objet d'entretiens réguliers jusqu'à des interventions récentes. La tradition musicale se poursuit aujourd'hui avec les Petits Chanteurs de Narbonne et une programmation assurée par l'Association des orgues de Narbonne en lien avec la municipalité.
La cathédrale possède un carillon de 36 cloches, pour la plupart fondues par la maison Paccard en 1931, rapatriées d'Algérie en 1982 et rénovées en 2013 ; quatre cloches de volée proviennent des fondeurs Triadou-Amans et Paccard et datent de 1817, 1886, 1982 et 1886. Le bourdon, fondu en 1527 par Jean Largoys et placé sur la terrasse de la tour du Midi, a un diamètre supérieur à deux mètres et figure parmi les plus grosses cloches de la région.