Origine et histoire de la Cathédrale Sainte-Eulalie-et-Sainte-Julie
L’église Sainte-Eulalie, ancienne cathédrale d’Elne, est dédiée à sainte Julie et à sainte Eulalie de Mérida et domine la ville depuis la « ville haute » sur laquelle elle est bâtie. Le siège épiscopal d’Elne, attesté dès 571 à l’époque wisigothique, couvrait alors les comarques catalanes du Roussillon, du Vallespir et du Conflent. Des fouilles récentes (2018–2019) ont mis au jour, à l’est de l’édifice actuel, des vestiges pouvant appartenir à la cathédrale du VIe siècle ; ces vestiges situés sous la place des Garaffes ont été inscrits aux Monuments historiques en 2023. La construction actuelle a commencé vraisemblablement au début du XIe siècle ; des donations sont attestées en 1042 et en 1057, et l’autel majeur fut consacré en 1069. Les campagnes de construction se prolongent jusqu’à la fin du XIIe siècle, voire au XIIIe siècle, avec des modifications visibles dans la voûte de la nef ; la tour avec grand clocher date du XIe siècle. La façade et le portail portent des traces de l’incendie lors de l’attaque de 1285, et des renforcements ont été réalisés au cours du XVe siècle, dont un talus à la base de la tour attribué à Guillem Sagrera en 1415. Au début du XIVe siècle une campagne fut lancée pour édifier un large chevet gothique à sept chapelles rayonnantes (travaux de 1317 à 1336) mais le projet fut rapidement abandonné et seules les bases furent élevées ; la construction de l’abside gothique fut interrompue dès 1408. Les XIVe et XVe siècles voient par ailleurs l’ouverture de chapelles latérales gothiques le long du mur gouttereau méridional. La résidence épiscopale fut transférée à Perpignan au début du XVIIe siècle, tandis que le siège resta à Elne jusqu’en 1801 ; malgré ce déclin politique, des embellissements se poursuivirent aux XVIIIe et XIXe siècles, notamment l’élévation d’un autel classique et la pose d’un baldaquin « à la française » au XVIIIe et l’agrandissement des fenêtres de l’abside au XIXe siècle. Le cloître, orné de sculptures, est classé monument historique depuis 1840 et l’église depuis 1875.
L’édifice, dûment orienté, résulte de campagnes s’étendant du XIe au XIVe siècle. Sa longueur totale est de 49,60 m pour une largeur de 20,50 m sans les chapelles gothiques. Le chevet présente un plan à trois absides ; l’abside majeure, percée de trois fenêtres agrandies au XIXe siècle, est scandée par des pilastres en grès supportant de fausses arcades dont certaines présentent un parement réticulé de petits cubes de pierre. À la base de l’abside se trouve une petite absidiole attribuée au XIe siècle et interprétée soit comme vestige d’une crypte supprimée, soit comme amorce d’un aménagement interrompu. L’abside est étayée par deux arcs-boutants, éléments rares en roman, et derrière elle se développe le soubassement d’un déambulatoire ouvrant sur sept chapelles rayonnantes de plan polygonal, de style flamboyant ; ces chapelles présentent des piliers formés de faisceaux de colonnettes aux bases disposées à divers niveaux, des assises supérieures en grès et des assises inférieures en calcaire. Les travaux de cet ensemble furent interrompus faute de crédits.
La façade occidentale, austère et bâtie en moellons irréguliers, confère à l’édifice l’aspect d’une forteresse ; elle devait à l’origine comporter deux tours identiques. Le portail roman, en marbre bleu de Céret, contraste par son élégance avec l’appareillage archaïque des murs et porte encore les traces du feu de 1285 ; au‑dessus s’ouvre une petite baie cintrée encadrée de bandes lombardes. Les deux tours-clochers, reliées par une courtine crénelée, ne débordent ni la façade ni les murs latéraux : le clocher sud, en pierre, comprend quatre étages ornés de baies cintrées et est couronné de créneaux, tandis que le clocher nord est une adjonction plus récente, en briques rouges, moins massif et également couronné d’une terrasse crénelée. Les rez-de-chaussée des clochers s’ouvraient primitivement sur les bas-côtés et sur la nef ; les grandes arcades furent murées lors de l’édification des tribunes.
L’intérieur adopte un plan basilical à trois nefs : la nef principale compte sept travées et les bas-côtés se terminent chacun par une abside semi-circulaire voûtée en cul-de-four. La nef est voûtée en berceau plein cintre, qui tend à devenir brisé vers l’ouest, reflet des campagnes successives ; la voûte repose sur de lourds piliers cruciformes ornés de colonnes engagées, légèrement inclinés vers l’avant pour améliorer la perspective. Les collatéraux, à l’origine dotés de voûtes d’arêtes, furent couverts en demi-berceau lors du voûtement de la nef centrale ; des traces de la charpente antérieure sont encore visibles au‑dessus de l’orgue, et un narthex de deux travées précède la nef pour soutenir cet orgue. L’éclairage reste faible, fourni principalement par les chapelles latérales du collatéral sud, conférant à l’édifice la pénombre caractéristique des églises du Roussillon.
Les dimensions principales sont : longueur de la nef 42 m, profondeur de l’abside 5,40 m, longueur du chœur 2,20 m, largeur totale sans chapelles 20,50 m, largeur du vaisseau central 8 m, hauteur de celui-ci 16 m et hauteur des collatéraux 11,20 m.
Six chapelles voûtées en croisée d’ogives flanquent le collatéral méridional et retracent l’évolution du gothique local entre le XIIIe et le XVe siècle : la première et la deuxième — cette dernière dédiée à Notre‑Dame du Rosaire — datent du milieu du XVe siècle ; la troisième, édifiée vers le XIVe–XVe siècle, est percée du portail sud en plein cintre (1669) et porte au-dessus un tableau représentant le blason de la cité et les armoiries du chapitre ; la quatrième, du XIVe siècle, conserve un retable de la même époque ; la cinquième, initialement chapelle Sainte‑Agnès puis chapelle de la Passion (XIIIe–XIVe siècle), abrite un gisant et un panneau du XIVe siècle ; la sixième, datée du XIIIe siècle, renferme le sarcophage en marbre blanc de l’évêque Ramon Costa (mort en 1310) et un bas-relief en albâtre du XVe siècle placé sur l’autel, tandis que les sculptures de ses chapiteaux évoquent celles de l’église Saint-Jacques à Perpignan. Aucune chapelle n’a été installée au droit de la septième travée, en raison du clocher, ni du côté nord, où s’appuie le cloître.
Le chœur, sans transept, est formé d’une abside flanquée de deux absidioles voûtées en cul-de‑four ; l’abside, plus étroite que la nef, est précédée d’un chœur étroit d’une seule travée et s’ouvre par trois baies cintrées, le symbole trinitaire renvoyant aux modèles cisterciens.
La sculpture intérieure, relativement abondante pour le Roussillon, se manifeste notamment par des chapiteaux orientaux du milieu du XIe siècle, témoins d’une sculpture romane antérieure aux grands ateliers du siècle suivant, tandis que les chapiteaux de la nef datent des XIIe et XIIIe siècles, liés au voûtement du vaisseau central. Le mobilier comprend une table d’autel romane du XIe siècle, ourlée de petites arcades aveugles et provenant des ateliers narbonnais, un retable gothique de saint Michel (XIVe–XVe siècles), plusieurs tableaux du XVIIe siècle dont des représentations de sainte Julie, de sainte Eulalie et des œuvres de François Guerra, des statues de saint Paul, saint Jean‑Baptiste et saint Gaudérique sous la tribune, la croix de la Passion dite « Impropères » accrochée dans le collatéral nord, un bénitier de marbre blanc taillé dans une colonne romaine et cannelé à l’époque romane, et un baldaquin baroque réalisé par le sculpteur Pierre Navarre en 1724. Le cloître et les bâtiments claustraux flanquent l’édifice au nord et restent une des parties les plus remarquables par leur sculpture.