Origine et histoire
La chapelle de la Madeleine, petite construction rectangulaire de 10 m sur 4 m, se dresse sur une éminence au sud du bourg médiéval de Saint‑Émilion, dans l'enceinte du domaine viticole du château Ausone, en Gironde. Elle occupe l'emplacement d'un ancien cimetière où ont été creusées de nombreuses sépultures dans le rocher et recouvre un charnier. Le lieu a connu une longue histoire : un grand cimetière dominait autrefois la Porte Sainte‑Marie, puis s'y sont succédé un important monastère sous le vocable de Sainte‑Marie de Fussignac, ruiné par les Sarrazins, et une chapelle détruite à la Révolution ; seule la petite chapelle dite « la Magdelaine » subsiste. L'édifice actuel est attribué à la fin du XIIe siècle, une datation parfois rapportée au XIIIe siècle, et pourrait avoir succédé à l'ancien lieu de culte, ce qui expliquerait la conservation de la titulature. Bâtie en bordure d'un plateau calcaire dominant la vallée, la chapelle a vu reculer l'escarpé rocheux au droit de son chevet par l'exploitation de carrières.
Architecturalement, l'édifice est rectangulaire et présente une nef unique sans travée, voûtée en berceau brisé ; il n'y a pas de chœur et l'autel est appuyé contre l'abside plate. Aux deux extrémités de la nef, un arc formeret repose sur des colonnettes engagées munies de chapiteaux à feuillage. La façade est surmontée d'un fronton triangulaire dépassant la toiture ; la porte, centrée, est percée sous un arc brisé ; le chevet plat porte un fronton similaire à celui de la façade. Des maçonneries chevauchent certaines sépultures taillées dans la roche et un banc de calcaire a été creusé sous le chevet pour aménager un petit sanctuaire.
Les investigations du XIXe siècle menées par Léo Drouyn ont mis au jour, au sud de la chapelle actuelle, les vestiges d'un édifice plus ancien : cinq bases de colonnes romanes engagées dans le soubassement d'un mur et un fragment de chevet polygonal à neuf pans, davantage étroit que la nef, et ouvert au centre sur une chapelle axiale de plan carré. Ces indices ont permis de restituer une église longue de 21 m dont 13 m pour la nef et rappellent le chevet de certaines églises girondines du XIIe siècle ; une sépulture médiévale à logette céphalique est taillée contre l'extérieur de ce chevet conservé. Cette chapelle disparue pourrait correspondre à une église Sainte‑Marie‑Madeleine mentionnée dans les possessions de la collégiale de Saint‑Émilion, mais la raison de son abandon demeure inconnue.
La chapelle actuelle a peut‑être été église paroissiale au XIVe siècle, elle a servi de lieu de culte protestant au XVIe siècle et a été vendue en 1791. Elle conserve une décoration peinte assez bien préservée de la première moitié du XIVe siècle, composée d'un faux appareil et de frises végétales ou géométriques, et s'insère au‑dessus d'une rotonde funéraire peinte d'une scène du Jugement dernier du XIVe siècle.
Sous la chapelle, une cavité naturelle aménagée en partie en rotonde subsiste pour environ un tiers : l'érosion et l'ouverture d'une nouvelle grotte ont détruit une grande partie de l'aménagement primitif qui devait vraisemblablement être couvert d'une coupole et éclairé par un percement supérieur. Le décor peint de la rotonde, réalisé au XIVe siècle, a été en partie perdu par la disparition de portions du support rocheux ; au XVIe siècle, l'ouverture d'une carrière a entraîné la construction d'un mur adossé à la paroi rocheuse et d'un second mur en grand appareil, dont une partie a été intégrée à une maison et qui comportait une petite porte à arc en bâtière donnant sur la rotonde.
Les peintures ont été préparées par une mince couche blanche appliquée sur la roche, suivie d'une esquisse en traits rouges puis d'un second trait plus large définissant les formes ; des aplats de couleurs vives — rouge, jaune d'or, noir et leurs mélanges — et des traits noirs de précision forment les détails, les visages et les plis. Certains traits épais et débordements colorés correspondent probablement à des repeints du XVIe siècle ; des traces de peinture subsistent aussi sur les murs clos de la grotte.
Le programme iconographique illustre la fin des temps selon l'Apocalypse et se divise en deux parties séparées par un arbre rouge, encadrées en haut et en bas par une guirlande sinueuse jaune et noire. À droite apparaît la Jérusalem céleste, symbolisée par un unique bâtiment fortifié dont les assises sont rendues par des traits noirs ; sur une terrasse de la cité se déroule le Couronnement de la Vierge par le Christ, figuré en buste dans une baie centrale, vêtu d'un manteau et montrant les plaies de la Passion. D'autres baies abritent des anges couronnés ou des saints nimbés ; depuis les remparts, des anges contemplent la procession des élus vêtus de robes blanches, certains coiffés de couronnes et représentés parmi lesquels figurent deux femmes, un enfant, un évêque et des élus accompagnés par saint Jacques et peut‑être saint Michel. Ces élus sont accueillis par des anges, tandis qu'un troisième ange, se retournant, écarte les bras face aux damnés.
Sur la partie gauche, un diable griffu rouge conduit cinq damnés nus liés par une corde, tirés vers la gueule ouverte et dentée du Léviathan où l'on distingue des corps et des membres basculant dans les enfers. L'association de la Jérusalem céleste et du Couronnement de la Vierge, symbolisant le double triomphe de l'Église, est remarquable pour un monument aussi modeste ; l'absence de saint Pierre et la place secondaire de saint Michel au profit de saint Jacques, représenté en pèlerin et posant la main sur la tête d'un élu, renvoient aux pratiques du pèlerinage et à la notion d'extrême‑onction.
Sur le plan stylistique, l'ensemble paraît l'œuvre de deux artistes contemporains : l'un a peint la Jérusalem céleste et le cortège des élus avec des proportions élégantes, des gestes justes et une attention marquée au trait, évoquant des influences de la peinture de manuscrits parisienne et de miniatures anglaises ; l'autre, de qualité d'exécution moindre, a réalisé le reste de la composition avec des corps plus trapus, des têtes plus grosses et une colorisation plus abondante.
La chapelle de la Madeleine est inscrite au titre des monuments historiques par arrêté du 12 juillet 1965.