Origine et histoire de la Chapelle de Saint-Tugen
La chapelle Saint-Tugen, située à Saint-Tugen en Primelin (Cap Sizun, Finistère), est un édifice des XVIe et XVIIe siècles inscrit comme monument historique en 1909 ; son placître et sa porte triomphale le sont en 1963. Saint Tugen, ou Tujan, recteur de Brasparts et deuxième abbé de Daoulas, est représenté en abbé mitré tenant la crosse et la clef de saint Pierre, relique associée à son pouvoir thaumaturgique contre la rage, puis par extension contre les rages de dents. Le sanctuaire fut longtemps lieu de pèlerinage et de pardons : on venait par milliers de Cornouaille, du Trégor ou du Vannetais pour invoquer le saint, faire bénir et acheter de petites clefs apotropaïques en plomb, et participer au grand pardon de juin. La tradition rapporte aussi des pratiques rituelles particulières, comme le percement de pains avec une clef attribuée à saint Tugen et l'usage de ces pains pour éloigner les chiens présumés enragés, ainsi que la vente des clefs lors du pardon. Au début du XXe siècle la presse signalait l'état dégradé de la chapelle et des travaux de restauration entrepris pour préserver l'édifice, qui devint ensuite, au fil du XXe siècle, un événement plus touristique mais toujours fréquenté lors du pardon de juin. L'enclos se compose d'un placître accessible par cinq échaliers et deux entrées : une porte triomphale ogivale côté sud, richement sculptée et surmontée d'un Christ aux liens, et une porte plus simple à l'ouest. Le calvaire ancien fut détruit vers 1794 ; le socle et des sculptures réemployées subsistent au sud du placître, reposant sur degrés et présentant bas-reliefs, une inscription liée à la conception du nouveau calvaire et plusieurs statues dont une Vierge de pitié et une figure de saint tenant une clef. La chapelle, massive, mesure environ vingt-neuf mètres de long sur vingt-huit de large et se développe dans un vaste enclos ; sa présence comme trève est attestée dès 1118 et son statut fut confirmé aux XVe et XVIe siècles, dépendant jadis de plusieurs manoirs et villages et desservie par plusieurs chapelains. Les travaux menés entre le XVIe et le XVIIIe siècle ont donné à l'édifice sa physionomie actuelle : élévation de la tour, adjonctions de transepts et chapelles, sacristie et remaniements successifs, reflétant la prospérité maritime locale et l'engagement des marins. Les murs extérieurs portent des bas-reliefs dits « vaisseaux de pierre », sculptés par des marins pour affirmer leur participation financière à la construction. La tour carrée occidentale, haute d'environ vingt-huit mètres, joue le rôle de clocher et reprend un langage architectural inspiré des tours quimpéroises avec baies étroites, fausses arcatures, corniche à modillons, gargouilles et balustrade ; elle est flanquée de tourelles dont l'une abrite un escalier à vis et une galerie flamboyante. Le portail occidental et le portail méridional montrent l'influence de l'atelier de Quimper : gables ornés, choux frisés, pinacles, niches abritant les évangélistes et sculptures accompagnées de phylactères où l'on lit des inscriptions liturgiques. Le porche méridional, monumentale travée voûtée, présente un tympan sculpté où saint Tugen tient la clef, des contreforts à niches et pinacles et un décor de colonnettes et d'arcatures très travaillées, en lien avec d'autres portails régionaux. La statuaire extérieure en kersanton s'inscrit dans le style du maître de Plougastel : visages ronds et sévères, plis structurés des vêtements ; plusieurs têtes mutilées ont été restituées en 1996 par l'atelier Le Floc'h, et de nombreuses statues sur les contreforts et sous le porche représentent apôtres, saints et scènes évangéliques. À l'intérieur, la tour comporte des pièces latérales datées et inscrites, et la nef se compose de quatre travées aux arcades ogivales irrégulières, avec une voûte ogivale en bois dont les sablières sont richement sculptées de personnages, scènes de pêche, grotesques et armoiries. Le chœur, autrefois fermé par un jubé dont il subsiste des vestiges, est éclairé par une verrière en verre blanc et conserve une dalle funéraire des seigneurs de Leuzerec. Le baptistère monumental, situé dans le bas-côté, est clos par une balustrade en bois datée de 1705 et décoré de peintures représentant mariage, baptême, confession et confirmation, avec des inscriptions précisant les donateurs et les dates. Le catafalque, installé en 1642, et la chaire en chêne datée de 1766, surmontée d'un ange sonnant de trompette, font partie des mobiliers remarquables, tout comme les litres funéraires peintes autour de la nef qui témoignent de la prééminence de la famille du Ménez. Les armoiries et devises des familles prééminencières—du Ménez de Lézurec, Gourcuff, Aultret de Lezoualc'h, Brézal, Bouilly de Trébry, Keridiern, Saluden de Kernysan et Penfentonio—figurent sur pierres, retables et éléments de la voûte, rappelant les fondateurs et donateurs. Quatre retables subsistent : le maître-autel baroque du chœur, richement composé et abritant entre autres saint Primel, saint Jean et saint Tugen ; le retable du Rosaire réalisé pour la confrérie et orné d'un tableau du XIXe siècle ; le retable de sainte Barbe réemployant une statue du XVIe siècle ; et le retable de la Vierge en trois niveaux, avec statues et bas-reliefs consacrés à la Trinité. De nombreuses statues d'applique et de procession, des ex-voto maritimes, et une vitrine d'orfèvrerie témoignent de la vie de dévotion et de la richesse passée du sanctuaire ; y figurent notamment un calice d'exception attribué à l'orfèvre morlaisien François Lapous, une patène médiévale et un étui en argent pour la clef de saint Tugen portant le poinçon de René Blanchet. Les sablières, blochets et culots présentent un bestiaire et des motifs parfois fantastiques—barques, masques, figures humaines et acrobates—qui s'apparentent à ceux d'autres sanctuaires finistériens et montrent la créativité des charpentiers-sculpteurs. De nombreuses inscriptions lapidaires et peintes dans la chapelle et la sacristie rappellent les noms des fabriciens, recteurs et donateurs, tandis que des marques lapidaires d'identité sont encore visibles dans la partie ouest de l'édifice. À proximité de l'enclos, une fontaine abritant une petite statue de saint Tugen, attribuée au maître de Plougastel, a longtemps été l'objet de pratiques dévotionnelles liées à la protection contre la rage, décrites dès le milieu du XXe siècle. Le pardon de saint Tugen se célèbre le dimanche précédant la fête de saint Jean le 24 juin, et la chapelle a été représentée en peinture, notamment par Oscar Chauvaux dont l'œuvre figure au musée du Faouët.