Origine et histoire du dolmen de la pointe de la Torche
La presqu'île dite Beg an Dorchenn, souvent traduite improprement « pointe de la Torche », s'élève sur une éminence naturelle dominant la baie d'Audierne, en Plomeur, dans le Pays Bigouden, Finistère. Le tumulus de Beg an Dorchenn est formé de deux cairns superposés ; le cairn supérieur contient deux monuments mégalithiques distincts : un dolmen du Néolithique moyen, à couloir et chambre compartimentée, et une allée couverte du Néolithique final qui prolonge sur le versant oriental le couloir du dolmen. Écrêté, le cairn supérieur laisse aujourd'hui apparaître ces deux monuments. Des ossements découverts dans le dolmen ont été datés de 4500 à 4090 avant notre ère. La presqu'île est classée au titre des monuments historiques depuis 1960 et fait partie d'un site naturel classé depuis 1989.
Le nom breton Beg an Dorchenn signifie « pointe du coussin », allusion au dos arrondi du promontoire ; les cartographes ont traduit ce nom par « pointe de la Torche », tandis que les archéologues conservent la toponymie bretonne. La presqu'île sépare la baie d'Audierne au nord de l'anse de Pors Carn au sud ; elle mesure environ 500 mètres de long sur 100 mètres de large et s'élève jusqu'à 16 mètres, supportant le tumulus. Le site est occupé dès le Mésolithique final, comme l'atteste un amas coquillier daté de 5640 à 5550 avant notre ère, époque où le niveau de la mer était plus bas et offrait un point de vue privilégié sur la baie. Le dolmen appartient au Néolithique moyen et l'allée couverte au Néolithique final. Dès 1919, Charles Bénard Le Pontois a proposé que ce lieu ait pu jouer un rôle central pour les constructeurs des nombreux monuments mégalithiques voisins, observant notamment l'alignement des menhirs de Lestriguiou dirigé vers le sommet du tumulus.
Les fouilles et interventions ont marqué le site : vers 1881 Paul du Chatellier constate que le tumulus est déjà fortement endommagé par la construction d'un poste de garde-côtes, deux galeries étant alors partiellement dénudées et violées, et il ne repère pas les chambres latérales du dolmen. Durant la Seconde Guerre mondiale, l'occupant allemand a encore endommagé le site en y installant des casemates. En 1946, Pierre‑Roland Giot met en évidence la présence, au sommet du tumulus, de deux monuments d'époques différentes et signale qu'il restait 35 dalles de support pour l'ensemble, dont trois affaissées. Les fouilles successives ont livré un mobilier principalement exposé au Musée de préhistoire finistérien de Pors Carn ; la conservation d'ossements, rendue possible par la présence de sable calcaire, est remarquable dans un sol breton généralement acide.
Le tumulus repose sur une éminence naturelle et dessinait autrefois un monticule d'environ 40 mètres de diamètre ; il est constitué de deux cairns superposés adossés au nord à un inselberg dômé, dont la granulite affleure à certains endroits. Sous le tumulus, la roche est recouverte d'une couche de cendres sableuses noires et de résidus d'amas coquillier mésolithique qui a contribué à aplanir la surface irrégulière du promontoire. Le cairn inférieur, fait de blocs et de galets mêlés à du sable rapporté, mesure de 0,50 à 1 mètre et descend le versant oriental beaucoup plus loin que le cairn supérieur, recouvrant le principal amas coquillier ; le dolmen est implanté au sommet de ce cairn inférieur et l'allée couverte sur son versant oriental, les deux monuments étant enfouis sous le cairn supérieur. Le cairn supérieur, « le tumulus proprement dit », est constitué d'une couche similaire, haute de 1 à 1,50 mètre ; il recouvrait autrefois le dolmen mais ne descend que peu le versant oriental, la séparation entre les deux cairns étant parfois marquée par un surcroît de sable.
Le dolmen, du Néolithique moyen, est singulier en ce qu'il repose sur le cairn inférieur et non sur le roche-mère ; Giot l'a décrit comme un dolmen à couloir et à deux chambres latérales trapézoïdales séparées par une chambre centrale, long d'environ dix mètres et large d'environ cinq, orienté à environ 81°, avec des supports verticaux de près de deux mètres dont les sommets dessinent un plan horizontal. En 1946, 23 supports subsistaient dont un affaissé, une table seulement était en place sur le couloir et deux tables étaient tombées dans la chambre sud. Le couloir, court (environ trois mètres) et plus étroit que la chambre centrale, présente ses deux premières dalles de support légèrement déviées vers le nord. Jean L'Helgouach a proposé d'interpréter l'ensemble comme une variante des dolmens à chambre compartimentée, voire comme une seule chambre à peu près octogonale composée de deux « chambrettes » trapézoïdales séparées par un prolongement du couloir.
Au Néolithique final, le couloir du dolmen a été prolongé par une allée couverte droite de type septentrional, longue d'environ huit mètres et orientée à 102° ; ses dalles de support sont disposées en gradins sur le versant oriental du cairn inférieur, de sorte que leurs sommets sont inclinés et non horizontaux. En 1946 on y comptait 12 supports dont deux affaissés et une table en place. L'implantation sur pente a conduit L'Helgouach à s'interroger sur une possible dégradation antérieure du cairn primaire au moment de la construction de l'allée.
La garniture de ces deux monuments diffère : le dolmen est rempli de sable terreux et de blocs, puis de gravillon mêlé d'argile noire et d'amas de cendres, et présente dans le couloir et la chambre centrale un dallage incomplet de petites pierres plates reposant sur le cairn inférieur ; l'allée couverte est entièrement comblée de sable et de blocs. Le mobilier recueilli comprend, dans le cairn inférieur, de nombreux éclats de silex, quelques percuteurs bipolaires et quelques tessons de poterie grossière ; dans le cairn supérieur, des éclats de silex et de nombreux tessons variés ; dans le couloir et la chambre centrale du dolmen, de nombreux éclats de silex, un fil d'or et des poteries ; dans la chambre nord, de très nombreux éclats de silex, un couteau de qualité et un frontal ; l'allée couverte ne livre que quelques débris de poterie grossière.
Les découvertes humaines et leurs datations montrent des usages distincts : deux squelettes inhumés sans tombe ni mobilier gisent à l'écart, à l'est du cairn inférieur ; dans le dolmen, des fragments d'ossements mélangés appartenant à divers individus adultes sont datés de 4500 à 4090 avant notre ère ; dans l'allée couverte, des ossements d'individus adultes, majoritairement masculins et à peu près complets, ont été datés entre 2884 et 2500 avant notre ère. Giot interprète la partie orientale du cairn inférieur comme un « cimetière de premier degré » où les corps décharnés mais encore ligamentés étaient exhumés puis transportés vers l'ossuaire que constituait l'allée couverte, parallèle qu'il relève avec des observances similaires sur le plateau du Rosmeur en Penmarc'h. Pour expliquer la dispersion des ossements dans le dolmen et le maintien des individualités dans l'allée couverte, il avance soit l'hypothèse d'un pillage du dolmen par les constructeurs de l'allée sans réutilisation, soit celle de rites funéraires différents respectant l'identité individuelle au moment du transport des restes.
Pierre‑Roland Giot estime ce tumulus d'un intérêt exceptionnel, tant par son architecture que par ses rites funéraires et son apport anthropologique, et il souligne son importance pour la chronologie et la délimitation des zones d'influence des différents faciès culturels en Bretagne. La presqu'île est protégée au titre des monuments historiques depuis le 13 juin 1960 et intégrée au site naturel classé de la baie d'Audierne, de Plovan à Saint‑Guénolé, depuis le décret du 12 avril 1989.