Origine et histoire de l'Église Saint-Martin
L'église Saint‑Martin est édifiée dans la commune de Jugazan, en Gironde. Elle se situe dans la partie sud du bourg, au sud de la route départementale D128 qui mène à Rauzan et à Naujan‑et‑Postiac. À l'origine prieuré du milieu du XIIe siècle et construit en style roman, elle dépendait des chanoines réguliers de Bellefond puis, à partir de 1186, de l'abbaye de La Sauve‑Majeure ; elle est restée liée à cette abbaye jusqu'en 1742. L'édifice est très composite : les quatre travées voûtées sur croisées d'ogives et le chevet plat datent du XVIe siècle. Des chapelles latérales ont été ajoutées et voûtées en arêtes aux XVIIe et XVIIIe siècles ; deux d'entre elles, créées au XVIIIe siècle, donnent à l'église une forme de croix latine. Une restauration partielle a été réalisée au XIXe siècle. De l'ancien édifice roman subsistent quatre chapiteaux et les voussures du portail. L'édifice se termine par un chevet plat et, au fond de la nef, une tour ronde abrite l'escalier à vis menant au clocher. Le chœur est voûté sur croisées d'ogives et des fenêtres flamboyantes ont remplacé les baies romanes lors de la reprise des voûtes. La pierre du portail a été peinte en rouge.
Le portail présente plusieurs voussures et des colonnes avec arcatures ornées de tores ; ses archivoltes sont sculptées de feuilles en éventail et peuplées d'animaux dont la queue en panache fait le tour du cou. Le décor sculpté mêle arabesques et figurations animales ou humaines : oiseaux et poissons encadrant personnages, oiseaux becquetant du raisin, homme assis entre deux chiens portant un cerf, oiseaux au long bec, personnage ailé posant les mains sur un homme accroupi qui mange un os, et un archange saisissant par les cheveux un homme sans doute damné. Les fonts baptismaux, taillés en un seul bloc au XVe siècle, présentent une cuve octogonale à l'extérieur et circulaire à l'intérieur, chaque face étant ornée d'une arcature aveugle trilobée ; ces fonts sont inscrits à l'inventaire des monuments historiques. L'intérieur conserve également un confessionnal du XVIIIe siècle, un ancien lutrin en bois finement sculpté représentant un aigle aux ailes déployées perché sur un cube reposant sur une colonne renflée et cannelée, ainsi que la chaire.
L'église est inscrite au titre des monuments historiques par arrêté en date du 23 septembre 1966. L'iconographie du portail a fait l'objet d'une lecture détaillée : trois grandes voussures s'appuient sur six chapiteaux et plusieurs cordons intercalaires, l'archivolte externe étant rythmée d'un motif à feuilles recourbées de style poitevin. Deux des cordons portent des figures : l'un met en scène une série de musiciens et d'auditeurs illustrant la luxure, l'autre une procession d'animaux qualifiés de maléfiques. Ce portail, comme ceux de Gabarnac et de Saint‑Martin‑de‑Sescas, ne présente guère de symboles chrétiens explicites ; son programme profane fonctionnait pourtant comme un sermon visuel destiné à avertir des embûches morales.
Sur l'ébrasement nord, les deux premiers chapiteaux sont des restaurations du XIXe siècle à feuilles d'eau ; le troisième montre deux oiseaux tenant un fruit suspendu aux volutes d'un sarment. Plusieurs interprétations ont été proposées pour ce motif : certains y voient une allusion eucharistique, d'autres y voient plutôt l'Upsilon majuscule symbolisant le choix entre vice et vertu, la pigne de pin ayant aussi été lue comme représentation du fruit défendu. Sur l'ébrasement sud, un chapiteau représente l'homme maîtrisant la bête, un autre la bête maîtrisant l'homme, et un troisième montre cinq oiseaux autour d'un fruit, lecture contre‑exemplaire du chapiteau nord où des oiseaux dérobent le fruit. Les voussures figurées comprennent deux files de musiciens convergeant vers une clef d'arc décalée, ornée d'une femme nue en position impudique, et composent un avertissement sur les périls moraux de la danse et de la musique. La procession animale se compose de deux files d'animaux montantes qui convergent vers une clé excentrée ; bien que nombre de sculptures soient abîmées et que l'identification des espèces soit parfois incertaine, les bêtes, souvent montrées avec un double collier et une longue queue se dédoublant en lianes foliacées, ont été considérées comme des figures maléfiques.
La présente description reprend et synthétise les analyses publiées, notamment celles de Christian Bougoux et de Léo Drouyn.