Origine et histoire de l'Église Sainte-Radegonde
L'église Sainte-Radegonde de Poitiers se situe entre la cathédrale Saint‑Pierre et la Clain, dans la Vienne, en Nouvelle‑Aquitaine. Fondée au VIe siècle par la reine Radegonde sous le vocable de Sainte‑Marie‑hors‑les‑murs, elle prit le nom de Sainte‑Radegonde après l'inhumation de sa fondatrice en 587. Mentionnée dès le VIe siècle, l'église servait de lieu de sépulture pour les religieuses de l'abbaye et fut construite hors des remparts pour des raisons funéraires et sanitaires. L'édifice abrite toujours la tombe de la sainte, fille du peuple franc, épouse de Clotaire Ier et fondatrice de l'abbaye Sainte‑Croix. Sur l'ordre de l'abbesse Béliarde le corps fut exhumé en 1012 ; l'église fut ensuite rebâtie après un grand incendie et la dédicace du nouvel édifice est mentionnée en 1099, époque dont datent le chevet et les premiers niveaux du clocher‑porche. Parallèlement, l'édifice fut à la fois église paroissiale et collégiale, desservi par un prieur nommé par l'abbesse et par un collège de chanoines chargé du service autour du tombeau. L'abside avec sa crypte et le déambulatoire ainsi que l'étage inférieur de la tour remontent à cette période, tandis que la nef est une reconstruction du XIIIe siècle, voûtée au XIVe siècle. L'église fut saccagée en 1562 pendant les guerres de Religion et le corps de la sainte y fut profané selon une relation contemporaine ; elle a été classée monument historique en 1862.
Le plan de l'église est celui d'une croix latine, élaboré au XIe siècle pour concilier espaces liturgiques et circulation des pèlerins, avec transept et chevet à déambulatoire pour chapelles rayonnantes. Le chevet extérieur traduit cette organisation : crypte éclairée, trois absidioles rayonnantes, puis une abside à sept pans percée de larges baies et surmontée d'une flèche postérieure qui accentue son profil anguleux, adouci par des arcades en creux à la base. Le clocher‑porche est de facture romane, sauf la porte remaniée au XVe siècle ; il se compose d'un porche, d'une salle haute et d'un étage de cloches passant du carré à l'octogone, avec modillons sculptés en bandeau et détails architecturaux rappelant l'église Saint‑Porchaire. Dans le porche, deux reliefs remployés représentent le Christ en majesté et une femme couronnée, probablement la Vierge ou Sainte Radegonde, avec traces de polychromie. Le portail gothique flamboyant du XVe siècle et le parvis de justice qui l'accompagne, entouré de bancs de pierre, témoignent des fonctions civiles et ecclésiastiques du lieu ; les statues sous le dais du tympan sont du XIXe siècle. La petite place ombragée jouxtant l'église était autrefois un cimetière.
La nef, reconstruite au XIIIe siècle dans le style gothique plantagenêt en un vaisseau unique de quatre travées, présente des voûtes à liernes portées par faisceaux de colonnes et une coursière de circulation ménagée dans l'épaisseur des murs. La variété des modillons, près d'une centaine, offre un répertoire sculpté exceptionnel allant de créatures fantastiques à des scènes allégoriques. Les vitraux comportent une verrière datée de 1270 sur le mur nord de la deuxième travée, dont les huit lancettes racontent la vie et la Passion du Christ et dont la grande rose traite du Jugement dernier ; les armes de France et de Castille y désignent le donateur Alphonse de Poitiers. Sur le côté nord se lisent aussi des verrières dédiées à la vie et aux miracles de sainte Radegonde et à celle de saint Blaise ; la vitrerie consacrée à Radegonde, partiellement datée du XIIIe siècle et restaurée à la fin du XIXe siècle par Henri Carot, narre seize épisodes comprenant notamment un tonneau intarissable, plusieurs guérisons, des exorcismes et des résurrections.
Un enfeu gothique abrite le groupe dit du « Pas‑de‑Dieu », ensemble en terre cuite du XVIIe siècle réalisé par un atelier du Mans dans le style de Gervais de la Barre ; la Vierge‑reine est représentée à genoux devant le Christ debout, posé sur une pierre portant l'empreinte d'un pied que la tradition attribue à une apparition du Christ à la sainte. Selon cette tradition et les récits médiévaux, la trace attira tant de fidèles que la pierre dut être protégée par une grille ; l'ensemble, d'abord conservé en une chapelle dédiée au Pas‑de‑Dieu, fut transféré dans l'église après la destruction de la chapelle en 1792.
La salle capitulaire accolée au mur sud, de la fin du XIIe ou du début du XIIIe siècle, est de style angevin avec une voûte à huit nervures, des culots sculptés et une clé de voûte figurant un Christ bénissant ; elle servait d'oratoire aux chanoines et contient de nombreux bustes royaux. Le chœur, abside heptagonale entourée d'un déambulatoire à chapelles rayonnantes romans, conserve des chapiteaux sculptés montrant acanthes, quadrupèdes cabrés et lions, ainsi qu'un chapiteau historié associant le péché originel et le prophète Daniel dans la fosse aux lions ; les voûtes du chœur sont en plein cintre. Les peintures du XIXe siècle, réalisées par Honoré Hivonnait et critiquées par Prosper Mérimée pour leur intervention sur des fragments médiévaux, organisent néanmoins un message iconographique cohérent en deux registres, céleste et terrestre, où Radegonde, reconnaissable à sa robe rouge et à son bâton pastoral, tient une place centrale. Les verrières du chœur, faites par l'atelier Lobin entre 1857 et 1872, complètent ce programme hagiographique et liturgique ; la baie axiale met en relation la Vraie Croix, l'Agneau mystique et des figures telles que Radegonde et Fortunat, et une mosaïque à la croisée du transept rappelle la royauté de la fondatrice par le blason aux fleurs‑de‑lys.
La crypte, accessible par un escalier sous le chœur, est une petite salle funéraire qui entoure le tombeau présumé de sainte Radegonde et un déambulatoire à trois chapelles rayonnantes consacrées à ses compagnes ; le tombeau, dégagé en 1012, ouvert en 1412 à la demande de Jean de Berry puis profané en 1562, contenait des ossements calcinés recueillis dans un coffret de plomb et déposés dans le sépulcre de marbre gris‑noir visible aujourd'hui, réparé avec des crampons métalliques. Près du tombeau se trouve la statue en marbre blanc réalisée en 1653 par Nicolas Legendre à l'effigie d'Anne d'Autriche, don de la reine en action de grâce pour la guérison de son fils, et la crypte conserve divers ex‑voto et une petite urne recueillant les intentions de prière transmises aux religieuses de Sainte‑Croix.
Le mobilier comprend un orgue dont l'histoire remonte au Moyen Âge : instruments détruits en 1562 et pendant la Révolution furent remplacés au XIXe siècle par un orgue installé sur une tribune métallique conçue par Jean Formigé et inauguré en 1894 ; après des réparations successives, notamment en 1948 par Boisseau et une restauration complète en 1997 par Boisseau‑Cattiaux, l'instrument actuel conserve la façade ancienne et offre 53 jeux et quatre claviers. Dans la nef figurent une série de tableaux du XVIIe siècle dédiés à des scènes évangéliques et à des saints, dont des épisodes de saint Charles Borromée et le miracle des avoines, ainsi que des œuvres provenant d'anciens éléments liturgiques. Une statue de la Vierge liée au Pont Joubert, installée au début du XVIIIe siècle par Louis‑Marie Grignion de Montfort, fut déplacée après diverses destructions et remonte aujourd'hui dans le déambulatoire. Le clocher porte trois cloches, dont deux fondues en 1803 et une datée de 1613 ; la cloche Radegonde pèse 454 kg et la cloche Louise environ 1,5 tonne, leurs inscriptions rappelant leur origine et leur dédicace.
Sanctuaire de pèlerinage parmi les édifices romans du Poitou, Sainte‑Radegonde attira des fidèles dès la fin de l'Antiquité en raison des miracles signalés au tombeau ; des manuscrits conservent quinze miracles datés de 1249 à 1306 et différentes fêtes liturgiques célébraient la sainte tout au long de l'année, la dévotion étant soutenue par des mécènes comme Jean de Berry. Après une interruption durant la Révolution, le culte fut restauré au XIXe siècle et renforcé sous le Second Empire, et des contemporains comme Hippolyte Taine ont laissé le témoignage de l'intensité des pèlerinages et de l'atmosphère populaire qui entouraient le tombeau.