Origine et histoire du Familistère Godin
Oeuvre unique inspirée du phalanstère de Charles Fourier, le Familistère de Guise est la réalisation repensée par Jean‑Baptiste‑André Godin d’un projet associant vie collective et production. Godin, inventeur du poêle en fonte, transfère en 1846 à Guise la manufacture qu’il avait fondée en 1840 à Esquéhéries et lance la construction d’un vaste ensemble bâti, pour la plupart édifié entre 1849 et 1883, que l’on désigne comme le Palais social. Cet ensemble comprend principalement trois immeubles d’habitation de quatre étages, chacun muni d’une cour intérieure couverte par une verrière, ainsi que des bâtiments abritant école et théâtre, des services collectifs (buanderie, bains, piscine, économat), un kiosque à musique et un jardin. Partiellement endommagés pendant la Première Guerre mondiale, les logements ont toutefois conservé leur unité originelle. Le Palais social, construit entre 1859 et 1880 probablement d’après des plans de l’architecte fouriériste Victor Calland, fut progressivement complété par des équipements destinés aux habitants : économats, écoles et pouponnat, théâtre, buanderie et jardin d’agrément. Des pavillons complémentaires, Landrecies et Cambrai, furent également édifiés hors du périmètre initial. En 1880 Godin remet son patrimoine et son capital à l’Association du Familistère, qui organise la production en coopérative et affecte les bénéfices au financement des services sociaux. L’Association se transforme en 1968 en société anonyme puis vend son patrimoine industriel et immobilier ; la société Le Creuset en acquiert une partie et cède peu à peu les parties publiques de l’ensemble à la ville. Né en 1817, formé au travail des métaux par son père serrurier, Godin ayant quitté l’école très jeune et réalisé un tour de France, avait breveté ses premiers poêles en 1840 ; le succès industriel de ses appareils en fonte entraîna une importante extension de la manufacture. Influencé par les idées fouriéristes après 1842, Godin adapta ces théories à ses projets pratiques, tirant aussi des leçons d’expériences antérieures comme l’aventure texane dont il tira un apprentissage. Son ambition était de fournir aux ouvriers les « équivalents de la richesse » : confort, hygiène et services que la coopération rendait accessibles collectivement. Sur le plan architectural et sanitaire, cela se traduit par des logements lumineux, une bonne circulation de l’air, l’accès à l’eau à chaque étage, une buanderie et des installations pour le soin du corps, ainsi qu’une nourricerie ; des caisses de secours complètent la protection sociale. Godin s’inspira aussi du mouvement coopératif anglais pour organiser des économats où les prix et les bénéfices bénéficient aux acheteurs, et il accorda une place importante à l’éducation en créant écoles mixtes, bibliothèque, théâtre et en organisant des conférences. Convaincu que le travail élève moralement et socialement l’individu, il conçoit l’architecture des coursives et des fenêtres intérieures comme des lieux favorisant la rencontre, l’émulation et la responsabilisation des habitants, dispositif critiqué par certains comme « carcéral ». Fondée en 1880, l’Association du Familistère convertit la manufacture en coopérative de production : les surplus sont distribués sous forme d’actions et les travailleurs deviennent propriétaires selon un système hiérarchisé fondé sur l’ancienneté et la participation. Ce modèle suscita admiration et critiques, Marx et Engels reconnaissant son intérêt documentaire tout en le positionnant parmi les utopies socialistes qu’ils assimilaient à des expériences fabriquées. Après la mort de Godin en 1888, l’œuvre perd progressivement son esprit coopératif : des tensions liées à l’hérédité des logements et des difficultés économiques conduisent aux transformations des années 1960 et à la dispersion d’une partie du patrimoine. Classé monument historique depuis le 4 juillet 1991, le site a fait l’objet d’un vaste programme de réhabilitation, dit Utopia, lancé en 2000 et soutenu à hauteur d’environ 80 % par l’Union européenne, l’État, la région et le département ; un syndicat mixte pilote la restauration des économats, de la buanderie‑piscine, de l’appartement de Godin et du théâtre, et un musée a été ouvert en 2010, classé « musée de France ». Une troisième phase engagée en 2015 vise à renforcer la dimension sociale et la visibilité internationale du Familistère, avec la création d’un hôtel, d’un centre international consacré aux fabriques d’utopie et le projet Familistère Campus. Le fonds du musée rassemble photographies, appareils produits par l’usine Godin et documents sur la vie quotidienne au Familistère. Le jardin d’agrément, créé en 1858, comporte potager, verger, espaces décoratifs ponctués de fontaines et statues, un pavillon rustique symbolique et le mausolée où reposent Jean‑Baptiste‑André Godin et sa compagne Marie Moret.