Origine et histoire du Fort Saint-Nicolas
Fort Saint‑Nicolas, aussi appelé fort d'Entrecasteaux ou fort Ganteaume, domine le Vieux‑Port de Marseille. Édifié en calcaire rose du cap de La Couronne entre 1660 et 1664 par le chevalier de Clerville sur ordre de Louis XIV, il visait à maîtriser l'esprit d'indépendance de la ville. Le fort a été classé monument historique le 14 janvier 1969.
Le site accueillait dès le Moyen Âge une chapelle dédiée à saint Nicolas, bâtie entre 1150 et 1218 et dépendant de l'abbaye Saint‑Victor. À partir de 1322 une palissade et une chaîne barraient l'entrée la plus étroite du port, dispositif qui fut renforcé au fil du temps et transformé en deux piles de pont en 1381, la chapelle recevant alors un chemin de ronde et une muraille jusqu'à la chaîne. Cette défense échoua lors de l'attaque d'Alphonse V d'Aragon en 1423 : les assaillants prirent la chapelle à revers, pénétrèrent dans le port et emportèrent la chaîne, aujourd'hui exposée dans la cathédrale de Valence en Espagne. La chapelle fut rebâtie en 1591 par Louis Naudet, Gabriel Delassus, Jean Beolan et Antoine Mascaron; ce dernier fut directeur de la monnaie en 1593 et son fils Pierre Mascaron publia le premier livre imprimé à Marseille en 1596.
Les troubles municipaux des années 1657–1659, liés aux manœuvres du duc de Mercœur et aux affrontements entre partisans du pouvoir royal et forces locales, amenèrent le roi à intervenir et à envisager la construction d'une citadelle pour soumettre la ville. Mazarin envoya le chevalier de Clerville qui choisit, pour surveiller la ville et assurer un ravitaillement par la mer, l'emplacement derrière l'abbaye Saint‑Victor, pointé comme suffisamment vaste et doté d'une fontaine d'eau douce. Le maréchal du Plessis‑Praslin proposa une autre implantation mais se rallia finalement au choix de Clerville.
Les travaux commencèrent immédiatement en utilisant des pierres des anciens remparts et du cap Couronne; le duc de Mercœur posa la première pierre et, au début de mars 1660, le chantier était en pleine activité. Le haut fort fut achevé en 1663 par le maître maçon Jean Étienne Chieuse, les travaux du bas fort, interrompus à la mort de Mazarin, reprirent en 1663 avec un marché passé avec plusieurs maçons dont Pierre Puget, et s'achevèrent en 1664. Vauban, qui visita la citadelle en 1679, adressa des critiques, et des aménagements supplémentaires furent apportés après 1664, notamment des batteries rasantes et une fausse braye autour du bas fort. Le gouverneur obtint le transfert du lazaret, auparavant situé au pied du fort, vers un emplacement près de Saint‑Martin d'Arenc, et après la peste de 1720 des pêcheurs catalans s'installèrent dans les locaux de l'infirmerie, donnant son nom à un quartier voisin.
Pendant la Révolution la population, inquiète de la présence des forts, commença en mai 1790 la démolition de la partie est, mais l'Assemblée nationale ordonna l'arrêt des travaux fin mai; les parties détruites furent rétablies en 1833 par le préfet Thomas avec des pierres grisâtres contrastant avec les pierres roses d'origine. L'ouverture, décidée en 1860 et réalisée en 1862, du boulevard Charles Livon pour relier le Vieux‑Port au palais du Pharo exigea la percée d'une tranchée soutenue par murs en calcaire blanc, ce qui coupa la citadelle en deux et accentua le contraste entre matériaux.
Le fort servit de prison : en 1823 il reçut 569 détenus après l'expédition du duc d'Angoulême, et en avril 1832 on y incarcéra des marins liés au débarquement de la duchesse de Berry; il conserva cette fonction jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Parmi les détenus figurent l'écrivain Jean Giono, arrêté en 1939 et libéré après non‑lieu, qui évoque le fort dans son roman Noé ; le député Jean Zay, condamné en 1940 par le régime de Vichy ; les hommes politiques tunisiens Habib Bourguiba et Hédi Nouira ; ainsi que le résistant Guy de Combaud‑Roquebrune.
La partie située entre le boulevard Charles Livon et la mer, appelée fort Ganteaume depuis 1887, abrite le cercle militaire et le mess des officiers; la portion au sud du boulevard, le haut fort ou fort d'Entrecasteaux, est composée de deux enceintes imbriquées. Depuis 2003 l'association ACTA VISTA restaure le haut fort dans le cadre de chantiers‑école : elle y a installé son siège en 2005, développé depuis 2009 un pôle de formation aux métiers du patrimoine et de l'éco‑construction soutenu par l'Union européenne et des mécènes, permettant d'embaucher et de former chaque année plusieurs centaines de personnes et de restaurer les remparts, demi‑lunes et bastions dédiés à l'apprentissage et à la culture des métiers d'art. L'ancien moulin à vent sert depuis 1954 de monument aux morts et l'accès au site se fait par une porte orientée à l'est.
Depuis le 8 décembre 2021 l'association La Citadelle de Marseille porte un bail emphytéotique administratif de 40 ans sur le fort d'Entrecasteaux avec pour missions de restaurer le site et de l'ouvrir au public, en le transformant en lieu de vie, de création et de culture (visites, expositions, résidences d'artistes, spectacles, concerts) et en impliquant citoyens, artistes et chercheurs dans une démarche durable et inclusive. En mai 2024 la citadelle a ouvert pour la première fois ses portes au public.