Origine et histoire de la Caune de l'Arago
La Caune de l'Arago est une grotte préhistorique de la commune de Tautavel, dans les Pyrénées‑Orientales, qui s'ouvre dans une falaise calcaire dominant le Verdouble. Elle a livré des restes humains attribués à l'Homme de Tautavel (Homo heidelbergensis) et des industries lithiques du Paléolithique inférieur. Le terme caune vient de l'occitan cauna, qui signifie « caverne ». La cavité surplombe la vallée de plusieurs dizaines de mètres — environ 80 m aujourd'hui, un peu moins de 60 m à l'époque de l'Homme de Tautavel — et se trouvait à l'endroit où le Verdouble quitte un canyon pour gagner la plaine. Longue actuellement d'une trentaine de mètres et large au maximum de dix mètres, la grotte pouvait atteindre cent vingt mètres en période préhistorique avant des effondrements et des comblements. Son ouverture, aujourd'hui orientée au sud, était tournée vers l'est avant l'effondrement du plafond.
Cette situation a fait de la Caune un abri favorable pour des chasseurs‑cueilleurs : l'exposition orientée permettait une température relativement douce en hiver et la position surélevée constituait un poste d'observation des troupeaux. L'environnement extrêmement varié proposait de nombreuses niches écologiques et une grande diversité de gibier, depuis les animaux liés à la rivière comme le castor jusqu'aux espèces de plaine — daims, cerfs ou, selon les périodes, chevaux, bisons, rhinocéros et éléphants —, aux ongulés des escarpements tels que mouflons, bouquetins, tahrs et chamois, et aux espèces de plateau comme les bœufs musqués et les rennes. Un passage à gué situé en contrebas facilitait le passage des grands troupeaux et rendait la chasse plus aisée. La rivière fournissait eau et galets utilisables pour empierrer le sol ou fabriquer des outils, tandis que d'autres roches nécessaires à la taille provenaient de gisements situés à moins d'une demi‑journée de marche, soit environ trente kilomètres, comme le silex de Roquefort‑des‑Corbières, le jaspe rouge de Corneilla‑de‑Conflent, les chailles de Rivesaltes, les quartzites de Soulatgé et des roches volcaniques du col de Couisse.
Dès 1829, Joseph Farines et le géologue Marcel de Serres signalent des ossements inhabituels dans la Caune. Ce n'est toutefois qu'en 1948 que Jean Abélanet met au jour des industries préhistoriques attestant une occupation humaine. Dans les années 1950, des fouilles d'initiation conduites par les frères Ribes et Raymond Gabas, en collaboration avec Jean Abélanet, contribuent à révéler l'importance du site. Des campagnes systématiques sont menées chaque année depuis avril 1964 sous la direction d'Henry et Marie‑Antoinette de Lumley ; leur durée a progressé, passant de deux semaines en 1964‑1966 à un mois de 1967 à 1978, puis à trois mois de 1979 à 1991, et enfin à cinq mois depuis 1992. C'est au cours de ces fouilles que le célèbre crâne de Tautavel est découvert durant l'été 1971. Le 27 juillet 2015, le musée de la préhistoire de Tautavel annonce la découverte par de jeunes fouilleurs bénévoles d'une dent datée de 550 000 ans, soit environ 100 000 ans de plus que le crâne.
Le remplissage de la Caune dépasse quinze mètres et regroupe sédiments, blocs et débris accumulés sur une période d'environ 100 000 à 700 000 ans, offrant une archive riche des modifications fauniques, végétales et climatiques de la région. Entre 1967 et 1994, les fouilles ont livré quelque 260 000 objets, ossements et vestiges lithiques, qui documentent l'activité humaine et les changements environnementaux sur plusieurs centaines de milliers d'années. Plus de cent cinquante restes humains ont été exhumés, notamment crânes, mandibules, dents et autres os datés entre environ 570 000 et 400 000 ans ; des dents de lait attestent la présence d'enfants. Des traces de feu, d'outils et de boucherie sur os animaux, et des traces similaires sur quelques os humains ont été observées, ce qui a suscité des hypothèses d'anthropophagie sans lien établi avec une raréfaction des ressources, car les restes de grands mammifères sont fréquents dans les mêmes couches. Les fossiles, d'abord rattachés à une forme européenne d'Homo erectus dite Homo erectus tautavelensis, sont aujourd'hui majoritairement attribués à l'espèce Homo heidelbergensis.
La faune retrouvée sur le site comprend 122 espèces, parmi lesquelles le cheval Equus mosbachensis tautavelensis et le bison Bison priscus figurent en abondance dans le niveau G, aux côtés de rennes, cerfs, daims, bœufs musqués, mouflons, tahrs, rhinocéros et d'ours de Deninger. La stratigraphie témoigne d'un remplissage puissant couvrant l'essentiel du Pléistocène moyen, avec des datations parfois contradictoires ; des datations uranium‑thorium donnent des âges limites d'environ 700 000 et 350 000 ans pour des planchers stalagmitiques situés à la base et au sommet de la séquence. Les principaux niveaux archéologiques se trouvent dans l'ensemble III (sols D à G), attribué à une fourchette de 300 000 à 450 000 ans, et a livré plusieurs restes humains dont un crâne incomplet (Arago XXI, sol G) et deux mandibules (Arago II, sol G et Arago XIII, sol F).
Les industries des couches anciennes de l'ensemble III, parfois qualifiées de Tayacien ancien ou « Tautavélien », sont majoritairement réalisées en quartz avec quelques pièces en silex et quartzite ; elles associent racloirs, outils à encoches, galets taillés et de rares bifaces, qui deviennent proportionnellement plus fréquents au sommet de l'ensemble (couche E), amenant Henry de Lumley à parler d'un Acheuléen moyen. Toutefois, le faible effectif de bifaces dans les niveaux G à D et la relative stabilité des proportions entre grandes classes technologiques invitent à la prudence dans l'interprétation. Les matériaux utilisés proviennent principalement des alluvions du Verdouble (environ 80 %), tandis que d'autres roches ont été apportées depuis des zones situées à une trentaine de kilomètres, montrant une connaissance étendue des ressources régionales et une anticipation des besoins.
La Caune de l'Arago est classée monument historique en avril 1965.