Origine et histoire de la Grotte du Moulin de Laguenay
La grotte du Moulin de Laguenay, ou grotte de la Boissière, est une grotte ornée de Lissac-sur-Couze (Corrèze, Limousin) connue pour deux mains négatives et une nappe de points datées du Gravettien ; elle a été inscrite au titre des monuments historiques par arrêté du 15 juin 1994. Installée sur le causse de Martel, au sud de Brive-la-Gaillarde, elle s’ouvre dans la colline du Puy Gérald sur le flanc sud‑est d’une petite vallée menant au hameau du Soulier de Chasteaux ; l’entrée, située vers 140 mètres d’altitude, domine la source karstique du Moulin de Laguenay et correspondrait à une ancienne exsurgence. L’environnement immédiat est constitué de prairies et de bois taillis, avec un verger et des maisons du lieu‑dit « le Moulin de Laguenay » ; une partie de la cavité a été anciennement utilisée comme grange ou abri aménagé.
Le soubassement géologique repose sur des calcaires jurassiques (Bajocien-Bathonien) avec une transition entre calcaires blancs souvent oolithiques et calcaires sublithographiques en plaquettes ; ce contact lithologique, interprété comme voisin de 175 millions d’années, se traduit sur site par un passage entre calcaires beiges massifs altérés en surface et plaquettes affleurant au‑dessus de la grotte, associé à niveaux altérés en cargneules et argiles rouges calcifiées. L’érosion fluviatile ayant décapé certains remplissages pourrait remonter au Miocène ou au Plio‑Quaternaire selon les interprétations ; la superposition d’un modelé karstique sur une morphologie d’origine fluviatile explique la présence de nombreuses dolines et la complexité du réseau.
Hydrogéologiquement, la source du Moulin de Laguenay draine un petit karst binaire estimé à 4,5 km², distinct du système du Blagour du Soulier, et la grotte correspond à un ancien drain aujourd’hui colmaté, l’écoulement s’effectuant désormais latéralement dans un conduit proche et pénétrable ; lors de prospections, Muet a également mis au jour des vestiges d’une faune ancienne. Un faciès calcaire peu décrit, constitué de sphérulites de calcite fibro‑radiée de cinq centimètres de diamètre en moyenne, occupe des portions de voûte et d’éboulis à l’entrée.
La partie accessible de la cavité se développe sur environ 35 mètres suivant un axe nord‑sud ; l’entrée actuelle, rétrécie en une chatière d’environ un mètre de long pour 50 cm de diamètre, débouche dans un éboulis de blocs après un effondrement résultant d’un dynamitage réalisé au début du XXe siècle, documenté par d’anciennes cartes postales montrant autrefois un porche plus large. La voûte y est parfois plane, parfois creusée en « chenal de voûte » lié à des écoulements secondaires, et les concrétions sont peu développées ; la galerie principale atteint 6 mètres de large et environ 3,50 mètres de hauteur. Au centre de la cavité se trouve une dépression boueuse à fond plat longue d’une quinzaine de mètres et large d’environ 4 mètres, limitée par des banquettes de cailloutis, sables et limons le long de la paroi sud ; la présence d’eau permanente ou d’argile liquide et la morphologie du fond laissent envisager une exploitation ancienne des sables plutôt qu’un simple effondrement naturel. Vers le fond, le remplissage argilo‑limoneux remonte rapidement jusque sous la partie ornée et la galerie se prolonge par un petit laminoir inaccessible.
Plusieurs hypothèses sont proposées pour l’origine de la cavité et de son évidement central : recoupement et suspension du drain entraînant vidange par fluage et soutirage, fréquentation et aménagements anthropiques ayant contribué à l’évacuation des sédiments, ou encore perception actuelle faussée par l’obstruction récente de l’entrée ; ces interprétations restent à confronter à des observations complémentaires. Dans une hypothèse de travail karstologique, la cavité résulterait d’une karstification ancienne, peut‑être au Pléistocène moyen, suivie d’un remplissage, puis d’un recoupement par l’incision de la vallée au Pléistocène supérieur, avec alternances de phases d’ennoiement, de fossilisation partielle et de reprise du drainage, puis d’ablation partielle du comblement et de formation de planchers calcitiques. Ces cycles expliqueraient la position suspendue d’un plancher stalagmitique sous lequel se trouvent les représentations pariétales, la fissuration et la desquamation anciennes d’éléments ornés retrouvés en fouille, ainsi que l’impact climatique possible lors de périodes d’ouverture large de l’entrée. Des observations de condensation, rapportées par Pierre Vidal, constituent par ailleurs un élément de sensibilité important pour la conservation du site.
Les peintures occupent une petite « absidiole » ovale d’environ 2 mètres par 1,50 mètre, au fond de la cavité : une nappe de points rouges plafonnante occupe le centre et deux mains négatives, placées en vis‑à‑vis, encadrent cette nappe, la main n°1 dans le sens de la longueur et la main n°2 dans le sens de la largeur ; les surfaces ornées présentent des concrétions calcitiques bourgeonnantes qui les protègent partiellement et l’examen comparatif avec des photographies de 1976 montre une stabilité apparente des motifs.
La première main négative, complète et orientée pouce à droite, est réalisée au pigment noir sur calcite sèche ; le halo de dispersion du pigment mesure environ 29 cm sur 20 cm et la main présente des longueurs de doigts de l’ordre de 5 à 9 cm, une largeur de paume d’environ 11 cm et une position entre 71 et 87 cm au‑dessus du sol ; une détérioration moderne est visible sur les phalanges, causée par des doigts et des coups portés à la pointe d’un objet, et des reprises de calcite blanche recouvrent partiellement l’image. La seconde main, orientée pouce à gauche, est elle aussi en pigment noir mais le support est très fragile et l’essentiel du pigment est tombé ; une grande plaque de calcite récente masque sa partie gauche, elle se situe entre 106 et 114 cm du sol, le halo mesure environ 70 sur 30 cm et les doigts conservés atteignent des longueurs proches de 7 à 8 cm, la largeur de la paume étant d’environ 14,5 cm. Les deux mains ont été réalisées par projection de pigment (soufflage ou crachis), comme en témoignent la répartition en particules et la nature pelliculaire du dépôt.
La nappe de points rouges occupe un ovale d’environ 65 par 40 cm, tronqué en son milieu, et comporte au moins 24 points disposés sur une calcite blanche fragmentée ; leur centre se situe vers 130 cm du sol et, pour un échantillon de treize points circulaires, le diamètre moyen atteint 3,76 cm, avec des valeurs allant de 3,5 à 5 cm. Les points ont été projetés selon différentes directions pour tirer parti des creux de la paroi et forment, dans l’état actuel, deux ensembles distincts — une ligne de points le long d’un bord rocheux à espacement régulier d’environ 4,5 cm et une structure elliptique à espacement moyen d’environ 3,7 cm — qui, combinés à une autre ligne courbe, donnent trois configurations répétées en art pariétal. Le pigment rouge a été décrit selon le code d’André Cailleux comme rouge faible au centre et rouge pour le halo ; sa nature (ocre, hématite ou autre) reste à préciser par analyses.
Enfin, deux traits noirs parallèles, résiduels, inscrits dans un rectangle d’environ 15 par 10 cm à gauche d’un point, indiquent que la composition du panneau associait des éléments rouges et noirs au‑delà de l’opposition mains/points, sans remettre en cause, pour l’instant, son caractère essentiellement abstrait.