Origine et histoire
L'immeuble dit le Temple du Goût est un ancien hôtel particulier situé au n°16 allée Duguay-Trouin et au n°30 rue Kervégan à Nantes, en Loire-Atlantique, région Pays de la Loire. Construit en 1753 par l'architecte Pierre Rousseau pour l'armateur Guillaume Grou, il figure parmi les rares hôtels particuliers nantais classés dans leur intégralité. Il se distingue par une façade de forme pyramidale et constitue l'un des plus beaux exemples du « baroque nantais », variante locale du baroque caractéristique des immeubles du XVIIIe siècle à Nantes.
Le projet initial pour l'île Feydeau, élaboré en 1723 sous la direction de Jacques Goubert, prévoyait vingt-quatre immeubles aux façades et proportions identiques, mais l'affaissement des sols marécageux freina les travaux au début des années 1740. L'abandon de l'obligation d'unité architecturale décidé par le Conseil d'État en 1743 relança la construction. Pierre Rousseau acquit en 1750 la parcelle n°22 et entreprit la construction pour Guillaume Grou, achevée en 1754 ; il se réserva, dès 1755, un appartement et le bâtiment reçut le surnom de « Temple du Goût ». Destiné rapidement à devenir un immeuble de rapport, il accueillit des locataires de statuts variés selon le prestige et la superficie des logements. L'édifice a conservé sa structure et son organisation intérieure d'origine, malgré des travaux de rénovation menés dans les années 1950 à la suite de dommages causés pendant la Seconde Guerre mondiale, touchant notamment le dernier étage et une partie de la cour intérieure.
Pierre Rousseau affirme sa personnalité sur les façades côté quai et côté rue, presque identiques, par la richesse des sculptures et des balcons. Le style combine un baroque tempéré, avec des motifs naturalistes, une certaine asymétrie et des courbes mesurées, et des accents classiques qui structurent l'ensemble. Les lignes verticales des cinq travées organisent la composition autour de la travée centrale, prolongée jusqu'au fronton, tandis que les balcons dessinent une pyramide ascendante renforcée par des agrafes guidant le regard vers le haut. La pyramide formée par les trois niveaux de balcons, dont les sols sont en marbre noir de Sablé, accentue l'élévation et le prestige de la façade.
Le balcon du premier étage, soutenu par six consoles ventrues monumentales, couvre toute la largeur et protège cinq portes-fenêtres en plein cintre ; au second étage le balcon se réduit aux trois portes-fenêtres centrales et repose sur des trompes, et au troisième il ne protège que la porte-fenêtre centrale, les autres ouvertures étant des fenêtres rectangulaires à banquette. L'ensemble est surmonté d'un fronton triangulaire ajouré, de deux lucarnes rondes et de chiens-assis. Trois mascarons ornent le premier étage de chaque façade, dont deux aux traits humains flanquant la baie centrale ; l'un côté quai représente une femme coiffée de guirlandes et de grappes de raisin, l'autre un homme barbu et enturbanné aux allures de voyageur ou d'Indien, des motifs pouvant évoquer les origines maritimes et commerciales de Nantes et, plus particulièrement, le commerce triangulaire.
L'entrée côté quai comprenait une porte cochère ouvrant sur un couloir bordé de boutiques et d'entrepôts menant à la cour intérieure, où les calèches pouvaient faire demi-tour sous le porche de l'escalier ; ce passage combine des traits baroques, comme des plafonds aux angles arrondis, et classiques, tels les arcades et les pilastres à chapiteaux ioniques. La cour centrale, axée sur le couloir traversant, est décorée d'agrafes et de motifs sculptés, dont un rappelant la profession d'architecte de Pierre Rousseau. L'escalier, élément majeur de la cour, est mis en valeur par un portique en arc à trois courbes orné d'une agrafe et encadré de deux colonnes doriques qui supportent un entablement à triglyphes et métopes prolongé par des balustrades en marbre rose ; l'escalier de granit voûté en hélice et la rampe à ferronneries dissymétriques renforcent l'effet de monumentalité et de lumière.
L'édifice comprend six niveaux : rez-de-chaussée destiné aux commerces, entresol affecté aux entrepôts aujourd'hui disparus, trois étages d'appartements soulignés par les balcons, et des combles divisés en petites habitations pour domesticité, artisans et commerçants. Dans la configuration de 1776, les trois étages comportaient six appartements de huit pièces, deux de cinq pièces et un de deux pièces ; la hiérarchie des logements reflète celle de la façade, le premier étage « piano nobile » étant le plus prestigieux. Les pièces d'apparat présentaient des éléments décoratifs selon le rang des étages : parquets à compartiments, portes à placards, volets brisés, trumeaux surmontés de peintures murales représentant des scènes artistiques ou galantes, et la salle de compagnie du premier étage disposait d'un plafond mouluré en plâtre ; certaines peintures du deuxième étage pourraient provenir de l'atelier de François Boucher. Le confort était limité : aucun puits ni système de distribution d'eau n'a été retrouvé, les « petits lieux » répondaient aux besoins sanitaires et le chauffage était assuré par des cheminées de marbre.
En raison du sol marécageux de l'île Feydeau, les constructions reposent sur des remblais et des dispositifs de stabilisation ; Pierre Rousseau introduit à Nantes la technique dite de la « grille ou radier à la hollandaise », déjà utilisée ailleurs en France. Les matériaux employés sont le granit en rez-de-chaussée, le tuffeau pour les étages supérieurs, une fine couche de pierre de Sireuil en parement intermédiaire, et le marbre pour les sols des balcons et les mascarons ; la pierre de la base provenait de la carrière Miséry et le tuffeau était acheminé de Saumur. Après les destructions de la Seconde Guerre mondiale, le dernier étage reconstruit dans les années 1950 a vu le tuffeau d'origine remplacé par de la pierre de Saint-Savinien, plus dure et plus résistante en usage à l'époque.
L'édifice est classé au titre des monuments historiques dans son intégralité par arrêté du 17 août 1945.