Origine et histoire du Tortoir
L'ancienne abbaye du Tortoir est un prieuré fortifié de moines bénédictins situé dans la commune de Saint-Nicolas-aux-Bois, dans l'Aisne, au cœur de la forêt de Saint-Gobain. L'édifice, construit le long du vallon Saint-Lambert sur l'emplacement d'une ancienne chapelle, dépendait de l'abbaye de Saint-Nicolas-aux-Bois, fondée par Philippe Ier vers 1080. Le Tortoir fut donné à cette abbaye par Guy, trésorier du chapitre cathédral de Laon, contre une redevance annuelle, et la donation est confirmée par une charte de l'évêque Barthélemy de Laon de 1139 sous l'appellation villa de Tortorium, terme qui laisse supposer une origine agricole. Le domaine se trouvait à proximité de l'église paroissiale Sainte-Geneviève, démolie au XVIIIe siècle. Au cours des XIIIe et XIVe siècles, le site s'est enrichi de bâtiments résidentiels; un texte de 1285 évoque le retrait d'un ancien prieur au Tortoir avec son chapelain et trois domestiques.
Les constructions actuelles s'organisent autour d'un plan carré : les côtés nord et ouest sont occupés par des murs, le côté sud accueille une chapelle composée de deux travées barlongues voûtées d'ogives, et le côté est est bordé par un grand bâtiment. Ce dernier, long de 28 mètres sur 10 et élevé à l'origine d'un étage, a suscité diverses interprétations quant à sa fonction — maladrerie, logis de l'abbé, réfectoire et dortoir des hôtes ou maison abbatiale — proposées par plusieurs spécialistes. Son architecture présente des analogies avec la galerie des Merciers du Palais royal de l'île de la Cité, attribuée au temps de saint Louis, mais cette datation paraît trop ancienne ; les analyses récentes le situent plutôt au premier quart du XIVe siècle et l'attribuent à l'abbé Thierry II ou Théodoric de Suisy (vers 1328-1360). Le lien familial d'Étienne de Suisy avec les hautes sphères ecclésiastiques et royales est également documenté.
En 1567, l'abbaye mère de Saint-Nicolas-aux-Bois est ravagée par les protestants ; bien qu'aucun texte n'évoque explicitement le Tortoir, il est probable que ses bâtiments aient subi des dommages comparables. À partir de 1604 et jusqu'à la Révolution, les terres sont louées à des fermiers. Un manuscrit de 1667 mentionne d'importants travaux entrepris en 1660, restés inachevés faute de moyens. Après la sécularisation de 1791, le domaine est acquis par une famille de cultivateurs qui le conserve jusqu'en 1883.
En 1925, la Société industrielle et agricole de la Somme, fondée par l'industriel belge Coppée, acquiert le Tortoir pour en faire un domaine d'expérimentation agricole et confie à l'architecte belge Vanden l'aménagement des bâtiments ; le grand bâtiment est alors transformé en étable et certaines ouvertures sont obturées pour consolider la façade. Un projet de restauration proposé par l'architecte en chef des monuments historiques Jean Trouvelot n'a pas été réalisé en raison de la guerre. Classé Monument historique le 1er août 1912, le Tortoir est aujourd'hui une propriété privée, ayant conservé l'empreinte de sa transformation en ferme avec, autour de la cour, un bâtiment des hôtes et le logis du prieur aux baies à meneaux.