Origine et histoire
La maison dite Maison Frugès, ancien hôtel particulier construit en 1878, est située dans le quartier Saint-Seurin à Bordeaux ; elle a été acquise en 1912 par Henry Baronnet‑Frugès, industriel et amateur d'art. Souhaitant transformer cette demeure en « maison‑musée » des arts et techniques du début du XXe siècle, Frugès confia à l'architecte Pierre Ferret, assisté du décorateur Lucien Cazieux, une refonte complète intérieure et extérieure conduite entre 1913 et 1927, interrompue pendant la Première Guerre mondiale et reprise en 1916, la famille s'y installant à l'été 1918. Le projet mobilisa de nombreux artistes et artisans bordelais et parisiens — parmi eux Gaston Schnegg, Robert Wlérick, Jean Dupas, René Buthaud, Jean Dunand, Edgar Brandt, René Lalique, Émile Brunet, Edmond Tuffet, Pierre‑Louis Cazaubon, Daum et les mosaïstes Gentil et Bourdet — et manifeste une synthèse des styles Art nouveau et Art déco. La décoration, éclectique et orientalisante, met en valeur l'excellence des savoir‑faire français du début du XXe siècle. L'ensemble, maison et jardin compris, a été classé au titre des monuments historiques par arrêté du 2 octobre 1992.
L'architecte a transformé la structure et l'aspect extérieur de l'ancien hôtel Daverne au point de rendre la demeure méconnaissable, en conservant un parti résolument moderne plutôt que pastiche du passé. Le vestibule, traité en brique rose et pierre blanche, s'orne d'une frise sculptée par Edmond Tuffet représentant la lamina sucrée, clin d'œil au métier de propriétaire, et d'une porte vitrée ornée de ferronneries signées Edgar Brandt ; un rond‑point octogonal articule le plain‑pied et la surélévation, favorisant la circulation de la lumière. Le hall, dominé par une verrière à armature métallique, présente au sol une mosaïque de Lucien Cazieux composée de tesselles en verre de Venise et en céramique aux tons brun, doré, pourpre, bleu, vert et blanc ; l'escalier à trois volées est bordé d'une rampe en fer battu et bronze patiné par Edgar Brandt ponctuée de pylônes ajourés et d'une frise céramique au motif d'algues.
La salle à manger, rectangulaire, s'ouvre par trois baies sur la terrasse et se caractérise par des boiseries et un plafond en arc aplati à caissons ; ses décors sculptés par Edmond Tuffet reprennent grappes et feuilles de vigne, tandis qu'un tableau de Pierre‑Louis Cazaubon, La Fête des Vendanges, figure le port de Bordeaux au XVIIe siècle. Sur la terrasse, une fontaine mosaïquée en blanc, bleu, jaune et or est surmontée de la sculpture La Source de Robert Wlérick ; les arcs brisés reposent sur de minces piliers aux chapiteaux rehaussés de mosaïque d'or et d'une frise végétale. La grande chambre du premier étage, donnant sur les allées Damour, est intégralement lambrissée et dotée de mobilier encastré ; les boiseries ont été réalisées par la maison Pruilh avec les sculptures et moulures d'Edmond Tuffet et un décor peint par Émile Brunet intitulé Songes et Lever du jour.
La salle de bain est entièrement revêtue de mosaïque en pâte de verre turquoise, avec lavabo et coiffeuse logés dans des niches et baignoire entourée d'arcs brisés dorés et d'une frise florale. La loggia haute s'appuie sur des colonnes jumelées aux chapiteaux de feuilles de vigne et de raisins, présente un plafond à caissons en céramique blanche et des panneaux de grès figurant jarres, grappes et feuillage. La façade est rythmée par des corniches en pierre blanche séparant les niveaux ; elle est animée par un bow‑window, une rotonde surmontant la loggia et une coupole mosaïquée décorée d'une rosace centrale et de motifs floraux, ainsi que par des sculptures en bas‑relief de Gaston Schnegg et de nombreuses ferronneries d'Edgar Brandt.