Origine et histoire de la Maison Picassiette
Raymond Isidore (1900–1964), ou Picassiette, est l'auteur unique de la maison qui porte son surnom : il travaille d'abord en fonderie puis comme employé communal à Chartres, cantonnier puis balayeur du cimetière, et achète un terrain à la fin des années 1920. À partir de 1928 et jusqu'aux années 1960, il construit et décore sa maison et son jardin en utilisant des débris de vaisselle, de porcelaine, de faïence et du verre, qu'il encastre dans le ciment pour former mosaïques et fresques. L'ensemble — maison d'habitation, chapelle, logement d'été, jardin d'hiver, statues et installations comme le « trône bleu » — crée un univers imaginaire où se mêlent cathédrales, la Vierge, le Christ, la Tour Eiffel et d'autres figures symboliques. La Ville de Chartres a acquis cet ensemble en 1981 et l'a transformé en musée d'art naïf, rattaché au musée des Beaux-Arts de la ville.
La maison Picassiette est un exemple d'architecture naïve dont les surfaces sont entièrement investies par des mosaïques de faïence et de verre noyées dans le ciment. Son surnom, jeu de mots sur « pique-assiette », provient de son habitude de ramasser des assiettes glanées dans les décharges pour en faire des tesselles ; il reflète aussi la moquerie ou la comparaison faite par certains de ses contemporains avec Picasso. Sa vie entière fut consacrée à cette entreprise : il transforma murs et plafonds des trois pièces d'habitation en fresques rehaussées de mosaïques, décora le mobilier à la manière de la mosaïque et couvrit le sol de fragments de marbrerie.
Dans l'intérieur, ses compositions représentent des vues du Mont-Saint-Michel, de Chartres et de ses environs, ponctuées de motifs comme de petites pâquerettes réalisées avec des bouts d'assiettes cassées. À mesure que l'espace intérieur se remplit, Isidore se tourne vers l'extérieur et privilégie la mosaïque pour sa résistance aux intempéries ; il décore alors les murs de la maison, les allées et les murets du jardin. Dans la cour d'entrée figurent notamment la porte Guillaume de Chartres telle qu'elle était avant sa destruction, deux figures féminines identifiées comme la Palestinienne et la Française, ainsi que la cathédrale.
Selon sa veuve et ses beaux-fils, ses rêves nocturnes ont nourri son inspiration. Plusieurs observateurs et spécialistes ont proposé des interprétations variées : Maarten Kloos rapporte les confidences d'Isidore sur le sentiment d'avoir été rejeté et sur la vision de débris brillants dans les champs ; Paul Fuks y voit, selon une lecture jungienne, un mythe de mort et de résurrection ; Jean-Yves Jouannais y décèle l'expression d'un ressentiment social teinté d'anarchisme ; Maïthé Vallès-Bled qualifie l'ensemble de « réalisation d'architecture spontanée » et rappelle les propos d'Isidore sur la découverte fortuite des débris et la décision de les utiliser d'abord pour une décoration partielle avant d'investir la totalité de la maison. Pour Patrick Macquaire, l'œuvre tire aussi son sens de la condition sociale d'Isidore et de sa volonté d'inspirer les autres en montrant que ses mains pouvaient rendre heureux.
La construction et la décoration ont connu plusieurs étapes : après l'achat de la parcelle à la fin des années 1920, Isidore édifie une maisonnette où il s'installe avec sa famille, est embauché comme cantonnier puis commence la décoration à partir de la fin des années 1930 ; dans les décennies suivantes il poursuit l'ornementation, construit une chapelle et d'autres annexes, agrandit le terrain et achève la décoration du jardin. La médiatisation à son encontre se manifeste surtout à partir des années 1950. Épuisé et atteint de troubles mentaux, il meurt peu après une nuit d'errance en 1964 ; il repose au cimetière Saint-Chéron de Chartres.
Après sa disparition, la Ville de Chartres acquiert la maison en 1981 ; elle est classée monument historique en 1983 et labellisée « Patrimoine du XXe siècle ». L'œuvre a suscité un fort retentissement local : des habitants du quartier ont réalisé de nombreuses mosaïques inspirées par Picassiette, une régie de quartier et l'association les 3R ont développé des ateliers mosaïque, des actions d'insertion et institué le prix Picassiette, tandis que des rencontres internationales de mosaïque ont été créées. La maison a connu des épisodes plus récents, notamment un acte de vandalisme en 2017 qui a entraîné la destruction d'une maquette de la cathédrale et une restauration prise en charge par la municipalité.
La postérité de Picassiette se manifeste par des publications, des hommages d'artistes mosaïstes, des actions culturelles et sociales dans le quartier et par des reconnaissances internationales, qui témoignent de l'impact durable de son œuvre singulière sur l'architecture vernaculaire et la mosaïque contemporaine.