Origine et histoire du Manoir des Gens d'armes
La Maison dite des Gens d'Armes, aussi appelée manoir de Nollent ou de la Talbotière, est un manoir de la première Renaissance construit en pierre de Caen et classé au titre des monuments historiques en 1862. Il se situe au nord de la rue Basse, dans la vallée de l'Orne, en contrebas de l'ancien village de Calix dépendant de Bourg-l'Abbesse ; à l'origine il se trouvait au nord d'un méandre de l'Orne avant la canalisation et, depuis le percement du canal de Caen à la mer, se trouve à proximité de celui-ci. Entouré d'un environnement largement rural jusqu'au milieu du XXe siècle, il a ensuite été intégré à l'espace urbain. Le domaine était connu au XIIIe siècle sous le nom de la Talbotière et appartenait à Alexandre de Couvre-chef, seigneur de Cresserons, qui y fit édifier un premier manoir. En 1436 il revient à Jean de Couvrechef ; en 1487 la terre et le manoir sont donnés en dot à Guillemine lors de son mariage avec Philippe de Nollent, seigneur de Saint-Contest et avocat du roi à Caen. Leur fils Gérard hérite et fait édifier un nouveau manoir qu'il place sous la devise « Amor vincit Mortem », la construction étant estimée entre le règne de Louis XII et le début de celui de François Ier selon l'abbé de la Rue. Gérard épouse ensuite Marguerite de Clinchamps ; en 1571 la demeure passe à Philippe de Nollent et à Michelle d'Harcourt, puis, en 1619, elle entre dans les possessions de François Le Révérend, sieur de Calix, puis de son frère Michel, sieur de Bougy, et demeure dans cette famille. Aux XVIIIe et XIXe siècles le manoir prend une vocation agricole : une ferme est installée sur l'emplacement du mur hémicycle du jardin clos et, en 1891, Eugène Liot décrit une porcherie, deux étables et un magasin, le jardin servant de basse-cour. Liot note que la maison d'habitation, réparée, conserve une tourelle carrée, une frise de feuillages et deux médaillons, tandis que certaines sculptures et une gargouille ont disparu. Classé en 1862, le manoir fait l'objet d'une restauration à la fin du XIXe siècle ; il abrite ensuite une cidrerie dans les années 1930. Après la Libération une cité d'urgence de baraquements est installée provisoirement dans le verger pour abriter des familles ; ces logements laissent place, dans les années 1970, à des immeubles collectifs construits à l'arrière du manoir. Les bâtiments sont partagés entre la Ville de Caen, pour la maison d'habitation, et l'État, ministère de la Culture, pour les tours et l'enceinte ; ces derniers ont accueilli les services régionaux chargés des antiquités et un dépôt lapidaire. Une campagne de restauration a lieu au début des années 1980, pendant laquelle les éléments sculptés très abîmés sont déposés pour conservation, puis le manoir est acquis au début des années 2000 par la Région de Normandie et affecté au Centre régional de culture ethnologique et technique ; il est enfin vendu à des particuliers le 4 novembre 2014. Selon le plan de François Bignon de 1672, l'ensemble comprenait à l'origine une enceinte fortifiée à quatre tours avec un mur nord en hémicycle et, au centre, le logis ; aujourd'hui subsistent les deux tours du sud reliées par une muraille et un logis remanié. La tour ouest, flanquée d'une tourelle côté cour, porte sur sa plate-forme deux statues d'hommes en armes en « attitude guerrière », figures qui ont donné au lieu son nom de Manoir des Gens d'Armes ; elle présente une grande fenêtre à chambranle encadrée d'un écusson non blasonné surmonté d'une salamandre, symbole de François Ier, et du reste de l'écusson des Nollent soutenu par deux griffons. Trois gargouilles ornaient sa partie haute ; au XIXe siècle il n'en subsistait qu'une, les autres ayant été rétablies lors de la restauration de la fin du siècle, puis protégées par des coffrets et finalement déposées en 2016 pour éviter leur chute. La tour est, plus petite, avait partiellement été effondrée puis restaurée ; elle était également ornée de statues et de gargouilles aujourd'hui déposées. Seul subsiste du système défensif le mur sud le long de la rue Basse, autrefois entièrement crénelé et orné de médaillons ; la plupart des créneaux ont été déposés lors de la restauration des années 1980, ne laissant que deux crénaux conservés. Le logis, reconstruit dans le style Louis XIII, abritait au premier étage une porte en bois du XVIe siècle richement sculptée de ceps de vigne et de feuillages, porte transférée au musée de la Maison de la Reine Bérengère. Le manoir possédait au total trente-sept médaillons — quatorze sur la courtine, quinze sur la tour ouest et huit sur le logis — encadrés en chapeau de triomphe ; ils représentent hommes et femmes, parfois antiques, et portent des légendes dont certaines rapprochées des Triomphes de Pétrarque, comme PUDICICIA VINCIT AMOREM, AMOR VINCIT MORTEM et MORS VINCIT PUDICICIAM. Ces médaillons ont été interprétés tantôt comme une allégorie amoureuse, tantôt comme des figures d'empereurs ou de personnages historiques ; plusieurs pièces portent des inscriptions controversées, notamment un médaillon lu « C'EST MA DORICHE ET AMIE » par Arcisse de Caumont et contesté par d'autres auteurs, et un personnage tricéphale légendé IANUS. Après des remaniements et réemplois au XIXe siècle, une restauration postérieure au classement a permis de remettre en place de nombreux médaillons ; des moulages de neuf d'entre eux furent réalisés pour le musée de la Sculpture comparée et figurent aujourd'hui à la Cité de l'architecture et du patrimoine, tandis qu'une grande partie des pièces endommagées a été déposée dans la collection lapidaire du musée de Normandie. Le manoir a par ailleurs inspiré plusieurs artistes et graveurs aux XIXe et début du XXe siècle.