Origine et histoire du Manoir de Saint-Ortaire
Le manoir Saint-Ortaire, ou manoir de la Mare du Dézert, est un logis seigneurial implanté sur la commune du Dézert dans la Manche. Le manoir et la chapelle remontent au début du XVIe siècle ; la chapelle, remaniée au XVIIe siècle, a été le lieu d'une dévotion populaire à saint Ortaire, invoqué pour la santé des enfants. L’histoire de la propriété a été étudiée par Yves Nédélec (publication de 1974) et s’appuie notamment sur les travaux de Charles Fierville concernant la famille de La Mare. La famille de La Mare posséda le manoir du XIVe au XVe siècle, puis de 1505 à 1614 ; plusieurs de ses membres sont cités dans les sources, dont un Hugues de La Mare mentionné par Ambroise pour 1189, des chevaliers impliqués dans la défense du Mont Saint-Michel (1424-1427), et un Guillaume de La Mare qui fut recteur de l’université de Caen en 1503. Yves Nédélec attribue vraisemblablement la reconstruction du manoir à Guillaume de La Mare (1451-1525), dont la formation humaniste et les liens ecclésiastiques expliqueraient la qualité architecturale, en particulier des cheminées ; la présence, en façade, d’un écu érodé indiquant une croix est aussi un indice d’attribution à la famille. La propriété fut vendue en 1614 à Michel Martin, riche drapier de Saint-Lô ; ses héritiers cédèrent puis rachetèrent le bien au milieu du XVIIe siècle, et il passa plus tard entre autres aux mains d’Armand-Jérôme Bignon et de Jérome-Joseph-Marie Grimaldi de Monaco. Le plan napoléonien de 1823 montre une double enceinte protégeant le manoir et la chapelle, avec une tour au nord-ouest aujourd’hui disparue, un double portail est face à la chapelle, des talus au nord et un fossé au sud dénommé « la Lime de St Ortaire » ; une autre tour carrée accolé au mur nord a également disparu. Le manoir et son décor intérieur ont été inscrits au titre des monuments historiques le 25 juin 2004. La restauration engagée à partir de 2002, sur une propriété privée, a reçu plusieurs distinctions, dont celles des Vieilles Maisons Françaises, du conseil général de la Manche, de la Fondation Langlois et de la Fondation du patrimoine.
Architecturalement, l’ensemble a conservé un caractère authentique et offre un témoignage précieux sur l’organisation d’un logis seigneurial de la fin du Moyen Âge et du début de la Renaissance. Le corps de logis principal comporte une vaste salle centrale et constitue l’un des rares exemples du département à posséder une salle basse double en élévation (4,95 m) pratiquement intacte. On y accède depuis l’extérieur par une grande porte surmontée d’un linteau à double accolade ; la salle est dominée par une cheminée monumentale en pierre rouge locale, sur le pignon est, et flanquée d’un escalier tournant conduisant à une chambre d’entresol munie d’un judas et qui surplombe un cellier semi-enterré, disposition typique du « chamber-block ». Dans l’angle sud-ouest, une porte à linteau en accolade ouvre sur l’ancienne cuisine, et une ouverture cintrée à double colonnette donne accès à la chambre située au-dessus de cette cuisine. Un grand escalier en vis logé dans une tour polygonale, adossée à la façade postérieure, dessert une chambre à l’ouest pourvue d’une grande cheminée, puis la salle haute qui surplombe la grande salle et qui possède une rare cheminée monumentale gothique sculptée en calcaire ; à l’est se trouve une chambre reliée aux latrines. Une seconde vis, plus petite, assure une communication indépendante pour les parties ouest et conduit à une petite chambre sous combles. L’observation des modénatures — encadrements de portes et fenêtres et cheminées — permet de situer la construction dans sa forme actuelle près de 1500, même si certaines anomalies et éléments plus anciens, comme des cheminées en calcaire à consoles formées de triples quarts de rond et l’adjonction du grand escalier sur une structure préexistante, témoignent d’une phase de construction antérieure.