Origine et histoire du Pont de Moutier
Le pont de Moutier, ou pont du Navire, enjambe la Durolle dans le quartier du Moûtier à Thiers (Puy-de-Dôme). Sa construction est estimée entre le début du XVIe siècle et la première moitié du XVIIe siècle, ce qui en fait l'un des plus anciens de la ville, aux côtés du pont Vielh, du pont Saint-Jean et du pont de Seychalles. Il relie le bas de l'avenue Béranger et de la rue Rouget-de-l'Isle à la rive opposée, au niveau de la rue de Clermont, et la circulation s'y effectue aujourd'hui à sens unique. Jusqu'à la fin des années 1970 il supportait la circulation à double sens, régulée alors par des feux à chaque extrémité, et une passerelle en fer et en bois permet aux piétons d'éviter d'emprunter le tablier. Monument apprécié des habitants et symbole de la ville, il offre un beau panorama sur la ville haute médiévale qui le domine à l'est et il est inscrit aux Monuments historiques depuis 1926. Le nom principal était à l'origine « pont du Moûtier » — appellation conservée sur le cadastre napoléonien de 1836 — mais il est aussi appelé « pont du Navire » dès la première moitié du XXe siècle ; une œuvre métallique en forme de navire, ajoutée en aval lors du Symposium international de sculptures monumentales métalliques de 1985, a renforcé cette dénomination. Dans les documents anciens il apparaît encore sous d'autres noms, tels que « pont Oschon », traduit de l'auvergnat par « pont au chou », ou parfois « pont de Gironde » ; avant l'urbanisation du quartier, le pont menait sur des champs appelés « pré au chou ». La date exacte de sa construction reste inconnue ; une représentation du quartier dans l'Armorial de Revel, au milieu du XVe siècle, montre seulement deux planches jetées sur la Durolle, ce qui indique que le pont de pierre actuel n'existait pas encore à la fin du Moyen Âge. Un plan de 1730 le qualifie déjà d'ancien, d'où l'estimation de sa réalisation entre le XVIe et la première moitié du XVIIe siècle. On attribue souvent au pont le rôle de point de départ d'une navigation de la Durolle vers la Dore, d'où l'appellation « Navire » et la présence d'une place du Navire sur la rive gauche, mais l'existence d'une voie fluviale ancienne au départ du pont demeure incertaine. Des documents des XVIIe siècles attestent toutefois de tentatives visant à rendre navigable la basse Durolle entre 1615 et 1678 : en 1628 le conseil de ville commanda une étude, en 1666 l'intendant débloqua des fonds pour nettoyer le cours d'eau et poser un câble de halage, et une inspection eut lieu en 1678 ; ces projets échouèrent en raison de la non-rentabilité et de la difficulté d'entretien des zones de halage et du lit. La zone portuaire en aval était appelée en patois « viro barco », traduit par « demi-tour des barques » ; l'historien Alexandre Bigay a soutenu l'existence d'un port près du Moutier en s'appuyant sur deux textes de 1640 et 1669, mais d'autres érudits estiment que ces mentions visent plutôt un port sur la Dore. Pour l'exportation, Thiers a principalement utilisé les ports de la Dore à Peschadoires et, surtout, à Puy-Guillaume. Il est possible que des tentatives antérieures de flottage ou de halage aient eu lieu aux périodes médiévale ou antique, mais elles ne sont pas prouvées ; certains historiens voient toutefois dans le navire trois-mâts de l'ancien blason de Thiers un indice de ces activités. Architecturalement, le pont présente une allure trapue et massive, voulue pour résister aux colères de la Durolle. Son tablier, dès l'origine suffisamment large pour les attelages lourds, supporte aujourd'hui des véhicules légers jusqu'à 3,5 tonnes. L'ouvrage est un pont vouté constitué de trois arches plein cintre dissymétriques, qui reposent sur deux piles dotées d'avant-becs et d'arrière-becs massifs ; dans le régime d'écoulement normal, la rivière passe sous deux des trois arches, comme l'atteste le plan de 1730. Une pile plus petite est en pleine rivière, l'autre, plus importante, s'appuie en partie sur une zone sèche de la rive droite qui n'est submergée qu'en cas de fortes crues. Les parties en contact avec l'eau (bas des piles, becs) et les voûtes des arches sont appareillées en pierre taillée, principalement en granite bleu-gris et en arkose jaunâtre ; les élévations jusqu'aux parapets sont maçonnées de façon plus grossière, mêlant appareil irrégulier et tout-venant, témoignant des réparations successives, notamment en 1753 et en 1785. Les culées rive gauche et rive droite sont aujourd'hui noyées dans l'urbanisation du quartier et deviennent invisibles. Des vues amont et aval, y compris des représentations du début du XXe siècle, illustrent son évolution et son insertion dans le paysage urbain.