Origine et histoire du Prieuré de Carluc
Le prieuré de Carluc, situé sur la commune de Céreste dans les Alpes-de-Haute-Provence, forme un ensemble médiéval bien conservé. Il se trouve à proximité de la via Domitia, appelée au Moyen Âge via publica ou camin roumieu, et fut une étape importante sur l’itinéraire reliant l’Espagne à l’Italie via la Provence ; son fondateur jouissait d’une réputation de sainteté qui attirait pèlerins et voyageurs. Le site jouxte une petite falaise creusée de galeries, d’habitats rupestres et de tombes anthropomorphes ; au pied de la paroi, une source jaillit encore sous un portique à colonnes et alimente un petit ruisseau.
Le toponyme apparaît pour la première fois sous la forme in pago Karlioco dans une charte de 877, puis évolue en Caricolus ou Karlicolus au XIe siècle, Carlocus au XIIe siècle et Carluec/Carlué au XIIIe siècle ; ces appellations reposent sur la racine pré-indo-européenne *Kar, « pierre » ou « rocher », à laquelle Guy Barruol rattache ensuite le latin lucus (bois sacré) ou locus (hameau, puis centre monastique), tandis que les Fénié proposent une autre explication.
La chapelle est entourée d’une nécropole paléochrétienne qui a pu être un lieu de pèlerinage où les premiers chrétiens cherchaient le repos près de saints martyrs locaux ; une partie de cette nécropole est intégrée à une galerie creusée dans la roche et quelques sarcophages y furent mis au jour lors de fouilles en 1960-1961.
Le premier document mentionnant un prieuré à Carluc est une charte de donation de 1011 qui accorde des biens à l’abbé Archinric, à ses successeurs et à leurs moines, à Saint-Pierre de Carluc et aux religieux destinés à habiter le monastère à construire. L’abbé Archinric, contemporain de la fondation de Montmajour, se retira à Carluc, y fit élever le prieuré Saint-Pierre et y mourut en 1021 ; son culte se développa à Carluc, où il était fêté au XIVe siècle. S’il est impossible d’affirmer de façon catégorique qu’il fut le fondateur, il est très vraisemblable qu’il en fut le rénovateur, ayant entrepris des travaux à la demande d’Étienne d’Agde, évêque d’Apt.
Dès le XIIe siècle, le prieuré dépend de l’abbaye de Montmajour et compte une douzaine de prieurés sous sa dépendance. Aujourd’hui subsiste la chapelle Notre-Dame, tandis que les chapelles Saint-Jean-Baptiste et Saint-Pierre ont disparu. La chapelle et une partie des vestiges du prieuré sont classés au titre des monuments historiques depuis le 19 mars 1982, d’autres restes étant seulement inscrits.
L’architecture du prieuré associe constructions en pierre de taille et aménagements rupestres : une église médiévale entourée de tombes anthropomorphes, les vestiges de deux autres églises, une longue galerie creusée dans le roc, des grottes et une muraille du XIIIe siècle. La chapelle, bâtie en grand appareil, présente un chevet pentagonal percé de trois fenêtres à simple ébrasement surmontées d’arcs en plein cintre, une corniche ornée d’une frise en damier et de nombreux trous de boulin. Les angles du pignon auquel s’appuie le chevet sont soulignés par de belles colonnes aux chapiteaux sculptés figurant des oiseaux, et la façade occidentale s’ouvre par un grand arc ogival ; on remarque par ailleurs des éléments d’architecture tels que la façade nord, des voûtes en arc brisé et plusieurs colonnes et chapiteaux absidiaux.
La longue galerie rupestre, accessible par une porte en plein cintre ouverte dans le mur nord et par un escalier monumental légèrement en contrebas de la chapelle, présente une partie ouest taillée dans le roc et une face est soigneusement maçonnée. Sa première section, où s’alignent des tombes rupestres du côté du levant, était couverte de voûtes d’arête sur dix travées reposant sur des colonnettes monolithiques ; trois de ces colonnettes ont été dégagées lors des fouilles et leurs fûts sont lisses, cannelés droits ou torses. Les chapiteaux, de style corinthien, se répartissent en deux registres, l’un simple à palmettes, l’autre plus riche mêlant palmettes, feuilles d’acanthe et entrelacs. La seconde partie, profondément creusée, conserve un mur au levant marqué par des marques de tâcherons et percé de quatre portes donnant soit à l’extérieur, soit vers les anciens bâtiments conventuels ; une banquette orientale a été aménagée pour recevoir des tombeaux anthropomorphes qui se succèdent tout le long de la galerie, puis la banquette et le sol ont été utilisés pour creuser d’autres tombes. Dans la partie nord, une porte communique avec l’église Saint-Jean-Baptiste et une autre conduit à l’extérieur par un couloir creusé dans le rocher, sur la paroi duquel a été gravée une croix potencée.
En tant que grand prieuré de Saint-Pierre de Montmajour, Carluc exerçait sa dépendance sur de nombreux prieurés ruraux en Haute-Provence et dans les diocèses voisins : on y relève notamment plusieurs établissements à Reillanne, le prieuré de Saint-Trophime à Villemus pour le diocèse d’Aix, deux prieurés à Viens ainsi que Notre-Dame de Meyrigues et Saint-Pierre de Tosse pour le diocèse d’Apt, plusieurs maisons pour le diocèse de Sisteron et encore divers prieurés dans le diocèse de Riez.
Les principales études consacrées au prieuré comprennent des travaux de Guy Barruol, Henri-Pierre Eydoux, Jean-Pierre Peyron et Raymond Collier, parmi d’autres publications.