Origine et histoire du Prieuré de Serrabona
Le prieuré Sainte-Marie de Serrabona, fondé au début du XIe siècle, est situé en altitude sur la commune de Boule-d'Amont, dans les Pyrénées-Orientales ; son portail nord, les chapiteaux du cloître et une rare tribune en marbre du XIIe siècle constituent l'un des plus beaux ensembles de sculpture romane du Roussillon. L'église est classée au titre des monuments historiques et plusieurs de ses objets sont référencés dans la base Palissy. Implanté sur l'ancienne commune de Serrabonne, le prieuré se trouve dans le massif des Aspres, sur les contreforts orientaux du Canigou, à environ trente kilomètres de Perpignan et à 600 mètres d'altitude, à proximité des gorges du Boulès ; l'accès demeure difficile et les derniers 150 mètres de la route se font à pied. Aucune voie ne remontait la vallée du Boulès avant 1906 et la route qui dessert le prieuré date de 1946 ; de ce point élevé partent plusieurs sentiers de randonnée. La plus ancienne mention du lieu remonte à 1069 ; à cette époque une église paroissiale dédiée à la Vierge est citée et un groupe de religieux suivant la règle de saint Augustin, composé de chanoines et de chanoinesses, est installé par les seigneurs locaux. En 1082 est élu un prieur dans un contexte de tensions entre autorités religieuses et pouvoirs comtaux, en lien avec la réforme grégorienne. L'édifice primitif se compose d'une nef étroite voûtée en berceau ; lors d'un second chantier on y ajoute un clocher carré, un collatéral nord, un transept muni d'absidioles et un chevet semi‑circulaire, ainsi que les bâtiments monastiques et un cloître à galerie unique, adaptés à la topographie rocheuse. La nouvelle collégiale fut consacrée le 25 octobre 1151 par l'évêque d'Elne en présence d'autres prélats, et l'acte attribue l'agrandissement au prieur Pierre Bernard et aux habitants de Serrabone. Un débat a longtemps porté sur l'origine de la tribune en marbre ; des analyses architecturales et comparaisons ont conduit depuis les années 1970 au consensus qu'elle a été conçue pour cette église et qu'elle date de la période proche de la consécration de 1151. L'apogée du prieuré est de courte durée : des troubles apparaissent aux XIIIe et XIVe siècles, la décadence s'accélère et conduit, au XVIe siècle, à la sécularisation et à l'attachement du prieuré à la cathédrale de Solsona en 1593 ; le dernier prieur meurt en 1612 et le lieu perd son statut collégial pour devenir église paroissiale puis tomber lentement dans l'abandon. En 1789, deux murs sont élevés pour soutenir la voûte et la tribune est ainsi « mise en boîte », mais la partie occidentale de l'église s'effondre en 1819 ; une maison de fermier est alors construite dans la zone effondrée et un grenier est aménagé au-dessus de la tribune, tandis que la rangée intérieure de colonnes et chapiteaux du cloître est démontée pour constituer un retable afin d'éviter leur vente. La commune de Serrabone est supprimée en 1822, Prosper Mérimée visite le prieuré en 1834 et une première campagne de restauration est engagée en 1836 ; le site est classé en 1875. Devenu propriété de Henri Jonquères d’Oriola, le prieuré fait l'objet de travaux dès 1906 et les restaurations se poursuivent tout au long du XXe siècle ; la tribune est dégagée en 1920–1922 puis à nouveau en 1950, mais certains éléments ont été mal préservés, dispersés ou volés. Le département des Pyrénées‑Orientales acquiert le site en 1956 et en assure la gestion ; la partie occidentale est restituée à l'initiative de Sylvain Stym‑Popper avec la reconstitution de la façade en 1969, des mesures de protection sont prises après un incendie menaçant en 1978 et le territoire autour du prieuré est protégé en 1981 ; la balustrade de la tribune a été reconstituée par anastylose entre 2011 et 2014. L'église visible aujourd'hui associe la nef primitive et les adjonctions du XIIe siècle : clocher carré, collatéral nord, transept avec deux absidioles non saillantes et abside semi‑circulaire ; au sud une galerie de cloître conduit aux bâtiments du monastère. Les murs sont en schiste local avec des assises posées de chant et, dans les parties basses, des appareillages en opus spicatum ; la nef est voûtée en berceau brisé, le collatéral en demi‑berceau et les absides en cul‑de‑four. Les dimensions intérieures sont de 24,50 m de longueur, 14,70 m pour le transept et 10,70 m de hauteur sous voûte, l'épaisseur du mur de la nef étant de 1,50 m sans contreforts. Les vestiges de la décoration peinte sont rares : on relève un fragment de fresque du XIIe siècle sur le mur sud, des traces de polychromie dans l'entourage de la fenêtre d'abside et une croix de consécration visible sous la tribune ; la fenêtre du chœur présente une archivolte en marbre reposant sur colonnes et chapiteaux en marbre de Villefranche, sculptés comme la tribune mais sans fonction structurelle. On trouve également une grande cuve baptismale monolithique en marbre rose à l'extrémité est du collatéral nord et un bénitier octogonal en marbre près du mur de la tribune. Le portail nord, ouvert dans le mur gouttereau du collatéral, est encadré par colonnes en marbre portant un boudin décoré ; le chapiteau gauche représente un Christ trônant entouré d'anges et le chapiteau droit montre deux lions rejoignant une tête commune ; ces deux chapiteaux ont été volés en 2000 et remplacés par des copies en résine. La tribune‑jubé, qui sépare le chœur liturgique de la nef et permet la proclamation et le chant face aux fidèles, occupe la travée médiane de la nef ; elle couvre une surface d'environ 25 m2 et s'atteint par un escalier contre le mur nord du chœur. Mesurant 5,60 m de large sur 4,80 m de profondeur et 3,10 m de hauteur, sa façade occidentale et ses éléments structuraux sont en marbre rose de Bouleternère ; composée de trois arcs transversaux sur deux travées, elle présente un riche décor sculpté où figurent entre autres l'agneau pascal et les évangélistes en tétramorphe, tandis que la partie supérieure est couronnée par une frise géométrique et la balustrade restituée en 2014. Le décor sculpté, réalisé par des ateliers roussillonnais exploitant le marbre local, mêle motifs végétaux répétés, animaux fantastiques et figures humaines ; tous les chapiteaux sont différents et quelques‑uns sont figuratifs, parmi lesquels un centaure sagittaire, une scène de saint Michel combattant le démon et un personnage sonnant le shofar en lien avec l'Apocalypse, les yeux de certaines sculptures étant marqués par des trous de forage. La galerie méridionale du cloître, appuyée sur une terrasse en opus spicatum, donne sur le ravin par six arcades ornées de quatre paires de colonnes jumelées à chapiteaux en marbre ; elle comprend un enfeu avec traces de peinture murale et, à proximité, est exposée une stèle néolithique dite "stèle du mas nou". Les salles du monastère, réparties sur trois niveaux au sud‑ouest de l'église, servent aujourd'hui d'accès aux visiteurs ; la restauration n'a pas restitué le toit de l'étage supérieur, attribué à une phase plus tardive. Les chapiteaux du cloître, réputés de la même facture que ceux de la tribune et influencés par les ateliers de Cuxa, avaient été démontés au XIXe siècle pour éviter leur dispersion et remontés lors de la restauration de 1911.