Origine et histoire de la Prison
L'ancienne prison de Pont-l'Évêque, surnommée la « Joyeuse Prison », est un bâtiment néo-classique édifié au début du XIXe siècle derrière le tribunal, sur l'emprise des cours du couvent des Dominicaines. La reconstruction du tribunal et de la prison fut décidée par décret le 25 mai 1811 ; les travaux, dirigés par les architectes Harou-Romain, père et fils, s'échelonnèrent de 1813 à 1828, la prison étant achevée en 1823 et le tribunal en 1828. Bâtie en pierre, briques et silex, l'architecture polychrome et symétrique traduit les préoccupations philanthropiques de l'époque : séparation des sexes, surveillance constante, chapelle centrale et parloirs destinés à favoriser la rééducation par la religion et le travail. Le logis du gardien-chef, installé dans une demi-tour qui marque la séparation des quartiers, et le plan organisé autour d'un puits de lumière contribuent à la lisibilité fonctionnelle du bâtiment ; la chapelle, ajoutée en cours d'usage, permettait l'assistance aux offices depuis les paliers. Conçue pour accueillir environ quarante détenus, la prison comportait des cellules collectives, des bureaux, des parloirs, des logements de fonction et des mitards ; chaque étage comprenait quatre cellules collectives d'environ 25 m² et la cour, ceinturant l'édifice sur trois côtés, était divisée selon les sexes.
Malgré ces intentions, la vie quotidienne resta marquée par la surpopulation, l'insuffisance des équipements sanitaires et le manque de personnel qualifié : l'établissement passa progressivement d'une trentaine de détenus à près d'une centaine à la fin du XIXe siècle, avec des conséquences notables sur l'hygiène, la sécurité et la santé. Les registres montrent une majorité de détenus issus de milieux modestes, souvent incarcérés pour des délits mineurs, et révèlent des inégalités de traitement liées à la possibilité de payer des compléments pour améliorer les conditions. Le travail en prison, réalisé dans des conditions difficiles et souvent peu spécialisé, apportait aux détenus une part limitée des produits de leur travail. Les inspections successives soulignèrent des déficiences récurrentes : éclairage et chauffage insuffisants, sanitaires dégradés, absence de personnel médical permanent et risques d'évasion facilités par des défauts de surveillance et des ouvertures sur la ville.
Pendant l'Occupation, la prison servit de lieu de détention pour plus de 150 résistants, communistes et Juifs, dont une part fut remise aux autorités allemandes et transférée vers d'autres centres de détention ; cet épisode, peu étudié jusque-là, a été précisé à partir de l'ouverture des registres d'écrou au printemps 2022. À la fin des années 1940 et au début des années 1950, un scandale administratif lié à des dysfonctionnements et à des pratiques de faveur aboutit à la fermeture de l'établissement en 1953 : l'enquête révéla des ouvertures quotidiennes de la porte et des irrégularités de gestion, et le procès tenu en octobre 1955 aboutit à l'acquittement de détenus tandis que le gardien-chef fut révoqué et condamné. L'affaire inspira le film La Joyeuse Prison réalisé par André Berthomieu en 1956 avec Michel Simon, qui contribua à populariser la légende du lieu.
Après sa fermeture, l'édifice fut utilisé comme dépôt d'archives et abrita les hypothèques jusqu'en 2005. Inscrite aux monuments historiques le 5 décembre 1997 comme « témoignage exceptionnel du renouveau de l’architecture carcérale du XIXe siècle », la prison fit l'objet d'une restauration conduite après son acquisition par la commune en 2005 ; des travaux importants menés de 2008 à 2009 ont rendu aux toitures et aux façades leur aspect d'origine selon les documents d'archives, pour un montant supérieur à 500 000 €. Gérée par l'espace des Dominicaines, la prison, dont l'intérieur a été en grande partie conservé, est aujourd'hui un rare exemple d'architecture carcérale valorisée et visitable, accueillant des visites organisées pendant les Journées européennes du patrimoine, en été et le premier samedi de chaque mois. L'utilisation festive du lieu pour des animations thématiques a suscité des controverses locales, certains rappelant le rôle du bâtiment comme lieu de détention pendant la Seconde Guerre mondiale. La prison de Pont-l'Évêque demeure ainsi un témoignage matériel des débats et des évolutions des conceptions carcérales autour de 1820, à la croisée d'un idéal philanthropique et d'une réalité souvent plus dure.