Origine et histoire du Roc-aux-Sorciers
Le Roc-aux-Sorciers est un abri sous roche et un site archéologique situé à Angles-sur-l'Anglin (Vienne), connu pour ses sculptures pariétales attribuées au Magdalénien récent, soit environ 14 000 ans avant le présent. L'abri, ouvert au sud au pied des falaises de Douce sur la rive droite de l'Anglin et à environ 1,5 km en aval du village, se compose de deux parties géologiquement distinctes : en aval l'abri Bourdois, à faible encorbellement, et en amont la cave Taillebourg, plus profonde et de type vestibule. Ces deux secteurs, désignés par les noms des anciens propriétaires conservés par Suzanne de Saint-Mathurin, sont séparés aujourd'hui par une zone non fouillée préservée comme réserve archéologique. Le site est classé monument historique depuis le 18 janvier 1955.
Les recherches ont commencé en 1927 lorsque Lucien Rousseau a mis en évidence une occupation préhistorique et identifié du Magdalénien moyen ; il fouilla devant la cave Taillebourg et mit au jour une dalle gravée que Henri Breuil interpréta comme la représentation d'un mammouth, publication réalisée en 1933. Suzanne de Saint-Mathurin, aidée de Dorothy Garrod, a repris les fouilles et a mené des campagnes intensives entre 1947 et 1957, puis plus ponctuellement jusqu'en 1964, découvrant des blocs ornés sculptés, gravés et parfois peints représentant bisons, chevaux, bouquetins, félins et un portrait masculin. Ces blocs sont des fragments du plafond effondré de la cave Taillebourg ; seul un bison sculpté et peint est demeuré en place sur la voûte. La frise sculptée in situ, mise au jour dès 1950, rassemble bisons, chevaux, bouquetins, félins, visages humains et des figures féminines sans tête ni pieds, qualifiées de « Vénus ».
Les études ont repris au début des années 1990 sous la direction de François Lévêque et Geneviève Pinçon, aboutissant à la première monographie du gisement en 1997, puis à de nombreuses campagnes d'études du mobilier conservé au musée d'Archéologie nationale et de l'art pariétal in situ, conduites par une équipe pluridisciplinaire. Le site a été occupé du Magdalénien III au Magdalénien VI, soit approximativement entre 15 000 et 12 000 ans avant le présent, et des datations par le carbone 14 ont été effectuées pour l'abri Bourdois. Les couches archéologiques attestent une occupation humaine du Magdalénien récent associée à l'art pariétal et ont livré des foyers au pied des sculptures ainsi qu'un mobilier riche comprenant art mobilier, parures, lampes et outils en silex, os, bois de cervidé et ivoire. Les occupations du Magdalénien moyen ont été scellées par l'effondrement du plafond, tandis que des niveaux attribuables au Magdalénien supérieur se sont déposés ensuite.
La frise sculptée de l'abri Bourdois se distingue par la maîtrise technique des auteurs, la qualité des œuvres et le rendu des détails anatomiques, mis en valeur par le jeu de la lumière sur les volumes. Les figures, animales ou humaines, présentent un fort réalisme, la présence de nombreuses figures humaines étant remarquable dans le contexte paléolithique. La frise, conservée sur une vingtaine de mètres, combine art monumental en bas-relief et gravures fines en partie basse, avec quelques traces ponctuelles de peinture rouge et noire. Des anneaux taillés le long d'arêtes naturelles, ou lunules, participent à l'organisation des panneaux figuratifs et posent la question d'un usage fonctionnel et symbolique en lien avec les compositions.
Au Roc-aux-Sorciers, l'art pariétal est étroitement associé à l'habitat : les foyers retrouvés au pied des panneaux et la proximité des œuvres indiquent que les groupes magdaléniens vivaient en contact direct avec ces réalisations, probablement dans le cadre d'occupations liées à la chasse ou à des rassemblements saisonniers. Comparé à l'art des grottes profondes, l'art exécuté ici en plein air montre le même vocabulaire animalier — bisons, chevaux, bouquetins, félins — mais use de la peinture de manière très ponctuelle et privilégie la gravure et la sculpture pour exploiter les variations d'éclairement. Les représentations humaines y sont assez réalistes tandis que certains détails anatomiques et éléments de mouvement peuvent être stylisés.
Les découvertes du Roc-aux-Sorciers invitent à élargir la vision de l'art paléolithique au-delà des grottes profondes, en intégrant les pratiques réalisées en pleine lumière et dans le cadre de l'habitat, et à mieux comprendre les relations entre art pariétal, art sur supports mobiles et vie quotidienne. Sur le plan scientifique, des débats subsistent : Jean-Pierre Duhard défend le réalisme physiologique des figurations féminines tandis que Paul Bahn critique une lecture trop médicalisée au détriment de la stylisation.
Les recherches récentes sous la direction de Geneviève Pinçon ont permis le relevé et le raccordement des fragments ornés des deux abris, l'édition d'ouvrages et la mise en ligne d'un catalogue scientifique, ainsi que des études géomorphologiques de la vallée de l'Anglin aboutissant à une thèse en 2017-2018 ; des numérisations 3D et des visites virtuelles sont également accessibles. Pour des raisons de conservation, le site est fermé au public, mais une restitution en réalité augmentée est proposée depuis 2008 au Centre d'interprétation du Roc-aux-Sorciers, qui privilégie la médiation et le dialogue entre chercheurs et visiteurs plutôt que la simple reproduction. Après une fermeture décidée en janvier 2016 pour déficit d'exploitation, le centre a rouvert le 15 juillet 2016, repris par une société privée à la suite d'initiatives locales et d'une pétition ayant recueilli plus de 2 250 signatures.
De nombreuses publications de synthèse et des ouvrages destinés au grand public, y compris des livres pour enfants, contribuent à la diffusion des connaissances sur ce gisement magdalénien unique en France.