Origine et histoire de l'Abbaye St-Bertin
L'abbaye Saint-Bertin est une ancienne abbaye bénédictine de Saint-Omer (Pas-de-Calais), fondée au VIIe siècle sous le nom d'abbaye de Sithiu ; ses vestiges, situés rue des Ruines Saint-Bertin, sont classés monument historique en 1840. Implantée au nord-est de la ville et isolée, elle reprend le plan typique du monastère bénédictin, ceint d’un mur et bordé par l’Aa et la Haute-Meldick. L’ensemble se répartissait en trois pôles : les lieux réguliers autour de l’église abbatiale, les quartiers périphériques réservés aux responsables et les annexes économiques. L’église formait le cœur du monastère ; le cloître, adossé au flanc sud pour l’abriter des vents du nord, comportait quatre galeries couvertes autour desquelles s’organisait la vie matérielle et intellectuelle des moines. L’aile sud, vaste vaisseau de sept travées séparées par six piles et attribuée à l’abbé Gilbert, servait de réfectoire. L’aile ouest comprenait le parloir, le cellier, le chapitre, le chauffoir et les cuisines ; ces bâtiments furent affectés en dépôts et magasins en 1789. Les quartiers de l’abbé, du chambellan, du receveur et du prieur occupaient respectivement l’ouest, le sud et l’est du noyau conventuel. En périphérie, des annexes agricoles et artisanales — exploitations, ateliers, moulins, écuries, brasserie et boulangerie — assuraient l’autonomie des religieux et le respect de la clôture.
Le monastère fut fondé par des moines missionnaires venus de Sithiu — Bertin, Mommelin et Bertrand (ou Ebertram) — pour évangéliser la région ; vers 648, Adroald leur donna le domaine de Sithiu sur l’Aa afin d’y fonder un monastère dédié à saint Pierre. L’abbaye reçut de nombreux dons et acheta des propriétés, ce qui lui procura un patrimoine étendu, notamment par l’achat de plusieurs villages en 723 dans les contrées avoisinantes. C’est à Saint-Bertin que fut enfermé Childéric III, dernier roi mérovingien, puis qu’il mourut ; il y aurait également passé son enfance. L’abbaye bénéficia de privilèges royaux et impériaux, comme celui accordé en 788 pour la chasse afin de fournir peaux et cuirs, et d’une confirmation des privilèges par l’empereur en 830. En 820, sous l’abbé Fridogise, le monastère fut scindé en deux établissements, « d’en bas » au bord de l’Aa et « d’en haut » sur la colline où se trouvait le tombeau de saint Omer ; l’église d’en haut devint avec le temps collégiale et ses religieux se transformèrent en chanoines réguliers. Plusieurs comtes de Flandre et membres de leur lignée furent inhumés à Saint-Bertin.
Pendant les invasions vikings du IXe siècle, le monastère, considéré comme fortifié et plus sûr, reçut les reliques de plusieurs abbayes et églises ; la relique de saint Bertin fut toutefois cachée par l’évêque Folquin pendant 206 ans et retrouvée en 1050. Malgré cela, l’abbaye fut pillée et brûlée par les Normands en 860 (845 selon les Annales de Saint-Bertin). Devenue l’une des plus influentes du nord de l’Europe aux côtés de Saint-Amand et de Saint-Vaast, elle possédait une riche bibliothèque qui abrita notamment le codex des Aratea de Leyde et divers manuscrits copiés dans son scriptorium au style franco-saxon, comme le psautier de Louis le Germanique. Les papes confirmèrent à plusieurs reprises ses possessions et privilèges, ce qui entraîna de nombreux conflits juridiques avec seigneurs, villes, abbayes et évêques au sujet des dîmes, moulins et autres revenus ; parmi les exemples cités figurent la confirmation par le pape Lucius III de la dîme des harengs et la reconnaissance de droits sur des moulins confirmée par des seigneurs et papes successifs. L’abbaye possédait aussi des droits à l’étranger, avec des attestations et confirmations concernant des églises près de Cologne et dans le Kent.
Au XIIIe siècle, le pape Grégoire IX autorisa l’abbaye à présenter des prêtres pour desservir certaines paroisses et interdit aux religieux d’y recevoir des religieuses ; en 1234 eut lieu la translation des restes de saint Bertin à la demande de l’abbé Jacques Ier de Furnes. Les Annales de Saint-Bertin furent retrouvées dans la bibliothèque, dont une partie se trouve aujourd’hui à la bibliothèque de Saint-Omer ; Allard-Tassar, moine et copiste, y travailla entre 1495 et 1532. Une église romane fut édifiée vers le milieu du XIe siècle, dont subsistent quelques chapiteaux et fragments de mosaïque au musée de l’hôtel Sandelin. L’église abbatiale atteignait 25 mètres de hauteur, sa tour 48 mètres, et son grand sanctuaire en hémicycle desservait cinq chapelles ; ce sanctuaire, construit au XIVe siècle, servit de modèle à la fin des travaux achevés au début du XVIe siècle, après une reconstruction mentionnée en 1345 qui donna lieu à des indulgences accordées par le pape.
La Révolution porta un coup décisif : les biens de l’abbaye furent déclarés nationaux en 1789, les ordres religieux supprimés par décret en 1790, les moines expulsés en 1791 et dispersés après avoir cherché refuge, puis les bâtiments conventuels vendus en 1792. Les cloches furent brisées en octobre 1792 et l’église vendue en 1799 à condition de laisser debout la tour et trois contreforts ; la démolition se poursuivit jusqu’en 1830, la tour étant cependant préservée et ultérieurement classée. Entre 648 et 1792, l’abbaye aurait compté 1 298 religieux. En 1811, la ville de Saint-Omer devint propriétaire des ruines ; en 1830 la commune demanda la démolition de l’édifice et une partie de la nef servit à la construction de l’hôtel de ville. La tour, consolidée par un contrefort construit dans la nef, s’effondra en 1947 à la suite des bombardements et de l’abandon du site. Des fouilles menées en 1844 mirent au jour de nombreuses sépultures d’abbés et, parmi elles, la tombe d’une « comtesse de Flandre » désignée sous les noms d’Athala, Adèle, Ida ou Adélaïde ; cette sépulture, antérieure au XIIIe siècle, a suscité des hypothèses sans certitude quant à l’identité de la défunte et intrigue du fait du caractère inhabituel d’une telle inhumation. La succession des abbés est documentée de Mommelin Ier à Joscio d’Allesnes, dernier abbé avant la Révolution.