Origine et histoire
Site antique situé dans la vallée du Cher entre Bourges et Tours, Tasciaca correspond à un vicus gallo‑romain réparti sur les communes de Thésée, Pouillé et Monthou‑sur‑Cher, de part et d’autre du Cher, en Loir‑et‑Cher. Son nom figure sur la table de Peutinger comme étape entre Avaricum (Bourges) et Caesarodunum (Tours). L'agglomération se développe dès le début de notre ère et connaît une forte activité artisanale et commerciale sous le Haut‑Empire, marquée par une importante production de céramique, de verrerie et d'objets métalliques, avant un déclin à partir du IIIe siècle sans abandon total durant la période mérovingienne. Sur la rive gauche du Cher se trouvent un fanum, un bassin à fonction possiblement cultuelle, au moins un puits et une quarantaine de fours de potiers dont la production est attestée dans plusieurs sites de la région, ainsi que d'autres aménagements de fonctions moins bien établies comme des bâtiments à salles multiples, des gués, peut‑être deux appontements et un pont hypothétique. L'élément le plus spectaculaire est le complexe des Mazelles, sur la rive droite, ensemble monumental peut‑être lié à la navigation ou au trafic routier ; son plus grand édifice occupe près de cinquante mètres sur une vingtaine de mètres au sol. Des fouilles et prospections récentes ont élargi l'emprise de Tasciaca vers l'ouest et l'aval jusqu'à Monthou‑sur‑Cher, suggérant une occupation qui s'étire sur plus de deux kilomètres le long du Cher et couvre trois communes. Les ruines des Mazelles appartiennent au conseil départemental de Loir‑et‑Cher et sont classées monument historique sur la liste de 1840 ; le secteur du fanum et des fours, à Pouillé, est en zone archéologique protégée, mais certains vestiges y sont fortement dégradés.
Le site occupe la vallée du Cher, large d'environ cinquante mètres à ce niveau, encaissée dans un plateau calcaire et bordée de coteaux où se trouvent les matériaux exploités dans l'Antiquité : sable, calcaire et argile pour la poterie. Les vestiges se répartissent en trois noyaux d'occupation situés à Monthou‑sur‑Cher (Moulin du Ru), Pouillé (les Bordes et la Soler) et Thésée (le Grand Cimetière et le bourg, jusqu'aux Mazelles), et certains terrains aujourd'hui inondés étaient apparemment moins soumis aux crues à l'époque antique. La vallée et le Cher constituent un axe de circulation important, combinant navigation fluviale et réseau routier, et le site se situe à la limite des territoires des Turones, des Carnutes et des Bituriges Cubes, position qui renforce son rôle stratégique. La station de Tasciaca sur la table de Peutinger, interprétée par de nombreux chercheurs comme localisée à Thésée, a fait l'objet d'explications étymologiques variées, faisant intervenir des suffixes toponymiques latins ou des anthroponymes.
L'occupation humaine du secteur est ancienne : des traces mésolithiques ont été mises au jour aux Mazelles et des signalements plus larges pour le Néolithique et l'âge du Bronze sont évoqués dans la vallée, tandis que des trouvailles de La Tène et une ferme gauloise sont également attestées. L'apogée de Tasciaca se situe sous le Haut‑Empire, avec développement des activités artisanales et du commerce ; les monnaies découvertes confirment une occupation importante du Ier au IIIe siècle, avec des indices d'occupation plus tardive et ponctuelle. Au haut Moyen Âge, l'activité se recentre sur le bourg de Thésée, où une nécropole mérovingienne et des monnaies locales ont été identifiées, tandis que les pôles artisanaux et certains vestiges antiques semblent abandonnés ou peu mentionnés dans les sources médiévales.
Les connaissances sur Tasciaca résultent d'investigations anciennes inégales et de campagnes de fouilles et de prospections menées du XIXe au XXIe siècle, avec des périodes d'étude intensives et des lacunes méthodologiques pour les plus anciennes opérations. Les fouilles contemporaines ont dégagé les Mazelles, le sanctuaire et les ateliers, et un musée installé à Thésée conserve une partie du mobilier issu des opérations ; un programme collectif interdisciplinaire mené entre 2003 et 2007 a étendu la cartographie du site et publié une synthèse en 2016. Le complexe des Mazelles, situé sur un thalweg au sud du bourg de Thésée, comprend quatre bâtiments pour une surface bâtie d'environ 1 400 m² au sein d'une aire de 2,6 hectares, entourée en partie par un mur dont une porte et des vestiges sont conservés. Le grand bâtiment nord s'étend sur plus de 48 m par presque 20 m, avec murs conservés localement jusqu'à 5,50 m de hauteur, une vaste salle non cloisonnée, une galerie et de nombreuses ouvertures placées haut dans les murs ; les techniques de construction associent moellons calcaires, lits de tuiles et opus spicatum. Les autres constructions du site sont de plan rectangulaire et semblent contemporaines ou légèrement antérieures ; les maçonneries montrent plusieurs phases de construction et l'emploi de pierres provenant vraisemblablement d'une carrière proche.
Le mobilier des Mazelles étant rare, la datation repose principalement sur l'architecture et quelques indices qui suggèrent un début de construction au cours du IIe siècle et un développement dans la période impériale, sans que des datations précises puissent être établies. Les fonctions proposées pour les Mazelles sont multiples et discutées : villa, basilique civile, chai viticole, entrepôt, bâtiment public ou établissement lié à la circulation routière et fluviale ; l'hypothèse la plus convaincante les associe à des activités de commerce et de transit, éventuellement une mansio ou des entrepôts. Le fanum de Pouillé se compose d'une cella carrée entourée d'un péribole, d'un autel proche et d'un édicule, et des enduits peints, une inscription fragmentaire et des dépôts osseux votifs ont été retrouvés, ce qui plaide pour une fonction cultuelle. Un bassin proche du fanum, de faible capacité et doté de niches, ainsi qu'un puisard et un puits comblé par des tessons et des os, renforcent l'interprétation d'un sanctuaire associé à des pratiques liées à l'eau, éventuellement à des soins oculaires, sans exclusion d'une officine médicale à proximité.
L'activité artisanale est bien attestée : de nombreux fours de potiers, des ateliers de verrerie et des déchets de métallurgie montrent une production locale importante de céramique commune et d'amphores, de verre et d'objets métalliques, distribués dans la vallée du Cher et au‑delà. Les ateliers produisent aussi de la tuilerie, des pesons et revendent des céramiques sigillées et fines provenant d'autres régions, tandis que le verre et les bijoux témoignent d'un éventail de productions locales et d'importations. Des vestiges de grandes constructions, des bâtiments à caves contenant du mobilier votif, des traces de voies et d'aménagements de berge sur les deux rives complètent le dossier, mais aucun grand équipement public clairement identifié — forum, thermes publics ou système d'adduction d'eau — n'a été mis au jour à ce jour. En l'état, Tasciaca se présente comme une agglomération secondaire à vocation artisanale et commerciale, située à un carrefour fluvial et routier, qui a probablement exercé aussi des fonctions administratives, politiques et cultuelles, mais dont le cœur et l'organisation restent encore à préciser par de nouvelles recherches.