Origine et histoire du site archéologique
Le gisement archéologique de Pincevent, situé sur la commune de La Grande‑Paroisse en Seine‑et‑Marne, occupe la rive gauche de la vallée de la Seine en aval de Montereau‑Fault‑Yonne. Il s'agit du plus vaste gisement magdalénien fouillé en Europe et l'un des mieux conservés, qui a livré les vestiges d'un campement saisonnier de chasseurs de rennes datant d'environ 12 300 ans avant le présent. Découvert en 1964, le site a fait l'objet de fouilles dirigées par André Leroi‑Gourhan, qui ont entraîné des progrès importants tant dans la connaissance du Magdalénien que dans les méthodes de l'archéologie préhistorique.
Localisé à environ 85 km au sud‑est de Paris, Pincevent se trouve à une cinquantaine de mètres d'altitude dans une vallée large d'environ 1,8 km, marquée par de nombreuses étendues d'eau et des marais. Le site est proche de la confluence de l'Yonne et de la Seine, à quelques kilomètres des affluents Loing et Orvanne, et est traversé aujourd'hui par la ligne ferroviaire Paris‑Marseille ; il est accessible par la D606. La rive nord de la vallée y est particulièrement escarpée, formant parfois une falaise élevée de 50 m sur de courtes distances, et le gisement se situe à l'amont d'un étranglement de la vallée entre les plateaux de la Brie et du Gâtinais.
La région est riche en sites préhistoriques : sur la même commune figurent notamment les sites du Chesnois et du tertre Guérin, et l'ensemble du secteur est jalonné d'occupations protohistoriques et néolithiques documentées dans les communes voisines. L'exploitation d'une sablière sur le site remonte à 1926 et, à partir de 1956, des découvertes fortuites ont conduit à des opérations de sauvetage. Entre 1956 et 1964, malgré la surveillance de bénévoles, des éléments gallo‑romains, un cimetière gaulois, une dizaine de foyers probablement néolithiques et des foyers magdaléniens ont été détruits par l'exploitation de la carrière. Alertée par la chercheuse Isabelle Roux‑Rath, l'équipe d'André Leroi‑Gourhan, du Centre de recherches préhistoriques et protohistoriques de l'université de Paris‑I, est intervenue pour des fouilles de sauvetage, puis des mesures de protection ont été prises et le terrain acquis par l'État. Les fouilles se sont poursuivies sous la direction d'André Leroi‑Gourhan jusqu'en 1985, puis par son équipe.
Géologiquement, le gisement repose sur un socle crayeux situé en moyenne à 10 m de profondeur, surmonté de sédiments fluviatiles meubles de 2 à 4 m d'épaisseur comprenant des sables grossiers, des blocs et de nombreux silex, parfois accompagnés de fragments de granite d'origine alluviale. Au‑dessus, une couche de limon compact très argileux, souvent d'une épaisseur moyenne supérieure au mètre et parfois intercalée de sables, semble avoir comblé un ancien bras du fleuve ; vers l'est, ce limon cède la place à une argile brune qui peut descendre jusqu'à 6 m.
Des sondages montrent que, malgré les destructions, l'habitat magdalénien s'étend encore sur au moins un hectare. Les Magdaléniens ont choisi ce lieu pour un gué sur la Seine et pour un gisement de silex sur les berges, même si plusieurs gués existaient sur ce tronçon du fleuve. Les fins limons déposés par les inondations ont exceptionnellement conservé l'organisation spatiale des vestiges lithiques, osseux et des foyers, permettant d'identifier des aires d'activités circulaires interprétées comme des emplacements d'habitations. Il a été proposé, à titre d'hypothèse, que ces habitats correspondaient à des tentes démontables en peaux, analogues aux tipis nord‑amérindiens.
Le site a été occupé à plusieurs reprises pendant le Magdalénien supérieur, sur une période d'environ 12 300 ans avant le présent, principalement du début de l'été au début de l'hiver, et l'étude des dents de renne indique des occupations datées entre septembre et novembre. Une quinzaine de niveaux d'occupation ont été reconnus dans les limons d'inondation. Des restes humains ont été découverts dans le dernier niveau d'occupation magdalénien ; d'autres sites, comme La Chapelle‑Saint‑Mesmin, ont également livré des vestiges humains du Magdalénien.
La faune chassée est dominée par le renne pour tous les niveaux, sauf le dernier, et l'étude des os montre que des animaux entiers étaient apportés au campement avant d'être partagés entre les habitations. Le seul indice indirect de consommation de poisson est un outil en silex qui a pu servir à écailler, tandis que de petits fragments de coquille retrouvés dans le niveau IV20 ont été isolés des rejets alimentaires et pourraient correspondre à des œufs d'oiseaux déposés pendant des périodes d'inoccupation, sans preuve qu'ils aient été consommés par les Magdaléniens. Le remontage systématique des blocs de silex a mis en évidence des différences de compétence parmi les tailleurs, certains étant très expérimentés et d'autres en apprentissage.
Sur le plan méthodologique, Pincevent a été un laboratoire d'innovation : André Leroi‑Gourhan y a appliqué des fouilles méthodiques avec enregistrements systématiques en trois dimensions de tous les objets et structures, ce qui a permis, à partir de dizaines de milliers d'éclats, de fragments de bois et d'os, de reconstituer l'organisation de l'habitat et les gestes quotidiens des Magdaléniens. Cette technique, mise au point à Arcy‑sur‑Cure et perfectionnée à Pincevent, a influencé les pratiques de fouille préhistorique et s'est largement diffusée. Le site préhistorique de Pincevent est classé au titre des Monuments historiques par arrêté du 1er septembre 1988. Une réplique de tente paléolithique, inspirée des observations de Pincevent, a été reconstituée au parc archéologique Asnapio de Villeneuve‑d'Ascq.