Origine et histoire
La statue de Victor Schœlcher est un groupe sculpté en bronze réalisé par Louis‑Ernest Barrias en 1896 et inauguré à Cayenne en 1897. L'œuvre représente Victor Schœlcher, en redingote, tendant le bras droit vers l'horizon et posant la main gauche sur l'épaule d'un jeune esclave récemment libéré, qui porte un calimbé et a des chaînes brisées à ses pieds. Le plâtre original est conservé à Bourbon‑Lancy (Saône‑et‑Loire) et la base du groupe porte la signature « E. Barrias, Paris, 1896 » ainsi que le nom du fondeur Leblanc‑Barbedienne. Installée à partir de 1897 au centre de la place Victor‑Schœlcher, anciennement place Victor‑Hugo, la statue se trouvait à l'intersection des rues Louis‑Blanc, du Docteur‑Sainte‑Rose et des Peuples autochtones (ex‑rue Christophe‑Colomb), à proximité de l'ancien hôtel de la Banque de Guyane et sur l'axe qui reliait autrefois le Vieux Port au centre‑ville. La Banque de Guyane, établie par décret impérial de Napoléon III en 1854 et dont la première pierre de l'hôtel local fut posée en 1891, occupait longtemps un bâtiment proche du monument. La statue a été conçue après la mort de Schœlcher, à la suite d'un mouvement initié dès 1894 pour ériger un monument à sa mémoire ; Barrias eut terminé le plâtre en 1896 et le bronze fut coulé la même année. Pendant plus d'un siècle, la place a servi de lieu de rassemblement pour les commémorations du 14 juillet et du 10 juin, date de la promulgation locale de l'abolition de l'esclavage. Pendant longtemps, ce monument resta l'unique mémorial de l'esclavage en Guyane, jusqu'à l'apparition d'œuvres comme Marrons de la Liberté à Remire‑Montjoly et Les Chaînes brisées à Cayenne. Classée au titre des monuments historiques, la statue et son socle ont été inscrits en 1995 puis classés en 1999. L'œuvre a fait l'objet de critiques récurrentes pour son esthétique : le contraste entre l'habit raffiné de Schœlcher et la quasi‑nudité du jeune homme, ainsi que l'attitude protectrice du premier et le regard reconnaissant du second, ont été interprétés comme une mise en scène paternaliste qui met en avant la philanthropie du Blanc et minimise le rôle des esclaves et de leurs résistances. Des commentateurs ont décrit la figure de Schœlcher comme celle d'un « prêtre laïc » ou d'un homme au geste protecteur, tandis que d'autres ont noté la représentation idéalisée et juvénile du jeune homme libéré. La statue a été progressivement prise dans des controverses contemporaines sur la mémoire coloniale : elle fut masquée par une cagoule au printemps 2017, recouverte de maillots en décembre 2017, puis vandalisée au début de juillet 2020 avec de la peinture et des objets déposés sur le groupe. Dans la nuit du 17 au 18 juillet 2020 la statue, qui n'était pas scellée sur son socle, a été renversée ; en l'absence de témoins ou d'images, ses auteurs n'ont pas été identifiés. Pour la protéger et pour les besoins de l'enquête, la municipalité a remisé la sculpture dans un entrepôt des services techniques ; le socle est resté vide sur la place. Elle s'y trouvait encore en juin 2023, en attente de restauration. En octobre 2020, la rue Christophe‑Colomb, qui débouche sur la place, a été rebaptisée rue des Peuples‑autochtones afin de rendre hommage aux peuples amérindiens de Guyane, et en juin 2024 une statue représentant les peuples de Guyane a été installée temporairement à l'ancien emplacement du groupe de Schœlcher. Techniquement, le groupe mesure 2,30 mètres de hauteur, 1,17 mètre de largeur et 80 centimètres de profondeur. L'inscription gravée sur le socle, extraite du rapport de la commission présidée par Schœlcher, proclame la reconnaissance de la Guyane et affirme que la République ne fera plus de distinction dans la famille humaine en citant la devise Liberté – Égalité – Fraternité. La réception de la statue est documentée par des témoignages de contemporains et de visiteurs : Jean Hess et Albert Londres l'ont décrite dans leurs écrits, et des penseurs comme Frantz Fanon ont fait résonner, dans leurs analyses, les enjeux symboliques de ce type de représentation. Depuis son déboulonnage, la conservation et la restauration de la sculpture ainsi que la question de sa réinstallation restent discutées entre acteurs locaux et chercheurs de la mémoire.